MALIK SIDIBÉ ▪ MALI TWIST
- Eric Poulhe
- 14 févr. 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2023
FONDATION CARTIER, PARIS
20 octobre 2017 - 25 février 2018

Vingt-deux ans après avoir présenté la première exposition de Malik Sidibé (1935-2016) hors du Mali, la Fondation Cartier pour l'art contemporain honore sa mémoire et celle de son pays avec Mali Twist. Cette rétrospective montre comment, par sa diversité, son éclat et sa constance, l'œuvre de Malik Sidibé s'inscrit dans le champ contemporain de la photographie. Tour à tour reporter et portraitiste, l'esprit vif et patient, Malik Sidibé a construit, depuis l'ouverture de son studio à Bamako en 1962, un ensemble photographique en noir et blanc exceptionnel, riche de milliers de négatifs. Mali Twist révèle son regard attentif et son talent pour mettre en lumière le meilleur de chacun, sa singularité. Malik Sidibé a fait de la photographie un art de l'échange, lors des soirées au rythme du twist et du rock'n'roll dans la Bamako des années yéyé ou dans l'intimité de son studio de Bagadadji. S'il a eu pour règle d'or d'embellir ses modèles, il témoigne aussi de la joie de vivre de la jeunesse bamakoise et de sa quête identitaire, peu après l'indépendance du Mali. Entre visages anonymes et corps en mouvement, poseurs élégants et flâneurs, Mali Twist offre plus de 250 photographies, dont les emblématiques "Nuit de Noël" (1963) et "Un yéyé en position" (1963), une trentaine de portraits inédits et des tirages d'époque que le photographe malien a réalisés lui-même entre 1960 et 1980. Sans oublier les fameuses "chemises", où sont archivés les tirages-souvenirs de l'âge d'or des surprises-parties. Mali Twist souligne la force de l'écriture instantanée d eMalik Sidibé, son éloquence, sa générosité : "Le bonheur est avec le monde", aimait à dire celui pour qui la photographie était, comme la vie, une aventure altruiste au jour le jour.
André Magnin et Brigitte Ollier, commissaires de l'exposition
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
Malik Sidibé est un photographe malien qui a fait de sa spécialité le portrait, qu’il soit réalisé en extérieur ou dans son studio de Bagadadji à Bamako. La fondation Cartier lui rend hommage avec l’exposition Mali Twist qui présente plus de 250 photographies, ainsi que des tirages inédits regroupés sous forme de planches contacts. Dans le premier espace au rez-de-chaussée, on peut lire la biographie du photographe et voir sur le mur opposé, quelques portraits grands formats fixés très hauts sur le mur. On a également reconstitué son studio afin de s’imaginer dans quelles conditions il travaillait. L’exposition est ensuite organisée autour de trois thématiques principales : les portraits des participants soirées dansantes « yéyé » des années 60-70, les portraits en studio et les portraits de la jeunesse bamakoise venue s’amuser au bord du fleuve Niger.
Il n’y a pas une seule photo sans personnage. Malik Sidibé pose son regard attendri sur les sujets qu’il photographie et les embellit en recherchant le plus beau ou la singularité de chacun.
Lors des soirées « yéyé », il se place en témoin de la jeunesse bamakoise qui vient danser et s’amuser dans des lieux privés ou des établissements festifs tels que le Las Vegas ou le Tempo. Son travail photographique durant ces soirées relève à la fois du reportage avec des images prises sur le vif, mais aussi d’un travail de studio réalisé dans un espace improvisé. Les images de danse sont authentiques et font la part belle au mouvement. Les danseurs et danseuses oublient complètement le photographe qui s’amuse à les prendre dans de multiples positions. Dans ces années « post-indépendance », le twist ou le rock est préféré aux musiques traditionnelles africaines, car les garçons et les filles peuvent se rapprocher, se toucher et se coller joyeusement, ce qui est impossible sur la musique traditionnelle. Très souvent, les participants à la soirée demandent à Malik Sidibé de s’isoler pour être photographiés. Les photos sont pour la plupart prises au flash de façon posée, souvent en extérieur devant de la végétation ou luxe absolu, devant une voiture ou une moto, signe extérieur de réussite. Toutes ces images offrent, plus de cinquante ans plus tard, un véritable témoignage d’une façon d’être de cette jeunesse insouciante.
Malik Sidibé a également réalisé de multiples portraits de jeunes, individuellement ou en groupe, au bord du fleuve Niger notamment à la Chaussée au lieu-dit du Rocher aux Aigrettes. Hormis la photo « combat des amis avec pierres » qui a été composée, et ça se voit, les photos sont prises à l’improviste avec une réelle spontanéité. On y trouve des filles et des garçons qui aiment se retrouver au bord de l’eau, s’amuser et se draguer comme n’importe quels autres jeunes sur une plage branchée de la côte d’azur.
Les photos de studio sont vraiment la marque de fabrique de Malik Sidibé. Il est très précautionneux dans la préparation du sujet et la composition. Par son regard attentif et attendri, il recherche toujours à sublimer son modèle comme la femme Peulh du Niger qui montre une réelle complicité avec le photographe. Parfois il s’amuse à faire un portrait de groupe avec des accessoires plus ou moins encombrants, tel celui des trois amis en moto, qui posent très sérieux et très fiers en costumes avec leurs deux cyclomoteurs. Ils sont à la fois si comiques et si touchants !
L’exposition présente également le film reportage « Dolce Vita Africana », d’une durée de 64 minutes qui a été réalisé par Cosima Spencer en 2008. On y voit un reportage plein d’émotions présentant la société malienne de 2008 avec un retour dans la passé à travers le parcours de Malik Sidibé et de ses photos en témoignage. Le réalisateur a retrouvé certains protagonistes qui ont servi de modèles dans les années soixante ou soixante-dix. Tel est le cas de ce haut fonctionnaire responsable de la gestion du réseau hydraulique malien, qui revient sur les bords du fleuve Niger, où il aimait venir le dimanche s’amuser avec les autres jeunes. Il est très ému devant le tirage où il apparaît le torse nu avec d’autres jeunes. Nostalgique, il regrette désormais que plus grand monde ne vienne le dimanche sur les rives du fleuve.
Une autre séquence du film est très touchante quand on voit des personnes désormais âgées retourner pour une soirée dansante au Tempo. Le début du reportage se passe avec les hommes dans la moquée pendant la prière. On les entend dire qu’il est bon, de temps en temps, de mettre de côté la loi de la Charia et de profiter du bon temps. On les retrouve le soir sur la piste de danse avec les femmes qui se sont apprêtées en tenues sexy. Comme au bon vieux temps, filles et garçons ondulent sur des rythmes chaloupés dans une ambiance joyeuse, se frôlant, se touchant, se rapprochant. Bien évidemment, Malik Sidibé, témoin amusé du spectacle, se faufile au milieu des danseurs et des danseuses afin d’immortaliser ces moments.
Sans contestation, Malik Sidibé aime ses modèles. En studio, il aime le travail de composition, établir un contact avec le sujet afin de trouver le meilleur profil, la meilleure lumière, l’attitude ou la position adéquate afin de délivrer l’émotion la plus forte. Dans les lieux ouverts, il privilégie la spontanéité et l’authenticité en se plaçant un peu plus en retrait du modèle qui joue avec le photographe, ou à l’extrême qui l’oublie complètement.
Que ce soit à travers ses photographies, ou dans son engagement dans la vie et les aides qu’il a apportées à sa communauté, Malik Sidibé est profondément humain et altruiste. Comme il aimait à le dire « le bonheur est avec le monde ».
E.P.