ERIC GUGLIELMI ▪ ARDENNE
- Eric Poulhe
- 9 mars 2018
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2023
MAISON DE LA PHOTOGRAPHIE ROBERT DOISNEAU, GENTILLY
26 janvier 2018 - 15 avril 2018

En janvier 2016, j’ai débuté dans ce territoire divisé en de multiples entités politiques une exploration photographique qui interroge la notion de frontière. L’Ardenne s'étend de part et d’autre des frontières belges, françaises et luxembourgeoises mais constitue avant tout un seul et même ensemble géographique. Aucune entité administrative ne recouvre ce territoire mal défini : en Belgique et au Luxembourg il n’a pas d’existence officielle et s’il donne son nom à une région française, celle-ci ne correspond vraiment à aucune réalité géographique. Je longe et traverse les lignes invisibles qui strient ce territoire, passant sans m’en rendre compte d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre. Quand je marche ainsi, je perds de vue les découpes arbitraires de ce territoire. Il n’y a plus ni France, ni Luxembourg, ni Belgique. Il n’y a plus que cette forêt immense. Comme si le balancement de mes pas, d’un bord à l’autre des frontières, tricotait un nouvel ensemble. La crise industrielle avec laquelle se débat cette région depuis plusieurs décennies a fait émerger dans le paysage de nouvelles lignes de fractures, qui ne sont plus simplement économiques ou politiques mais également visuelles. Les friches industrielles phagocytées par la végétation, plus généralement le repli des activités humaines et l’avancée inexorable de la forêt tracent dans le paysage des montages inattendus. Ces terres désertées se muent en de rigoureuses compositions. Mes passages incessants de part et d’autre de ces enceintes invisibles constituent le point de départ d’une réflexion plus vaste sur la notion de frontière. Quelle pertinence à faire perdurer ces lignes de démarcation dans un territoire où les tissus industriels et économiques se délitent, où le marasme économique ignore les pointillés politiques et enjambe allègrement les barrières établies ?
Eric Guglielmi
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
A la demande la maison de la Photographie Robert Doisneau, Eric Guglielmi est retourné photographier le territoire de son enfance, l’Ardenne qui s’étend sur trois pays la France, la Belgique et le Luxembourg. Pendant deux ans de janvier 2016 à octobre 2017, Eric Guglielmi a séjourné dans cette région afin de la photographier à toutes les saisons avec une pratique de l’argentique ou un travail à la chambre photographique.
Le projet est avant tout un travail d’observation qui retranscrit une image épurée dans une atmosphère qui semble pesante. L’Ardenne que présente Eric Guglielmi est majoritairement vide de présence humaine. On ne peut pas dire qu’elle est inhabitée. Elle est plutôt déshabitée. Même si l’humain est absent des photos, son empreinte est bien là et témoigne d’une présence passée qui s’est évanouie. Comme en témoignent les propos du photographe « J’ai fait 800 bornes en quatre jours sans voir personne à la fin de l’hiver 2016 », l’Ardenne s’est désertifiée. Pour des raisons démographiques, contraction et vieillissement de la population, et économiques, crise industrielle sidérurgique notamment, la région est tombée dans un déclin silencieux qui semble irréversible.
Eric Guglielmi témoigne de cette mutation avec un regard nostalgique et poétique « La crise industrielle avec laquelle se débat cette région depuis plusieurs décennies a fait émerger dans le paysage de nouvelles lignes de fractures, qui ne sont plus simplement économiques ou politiques mais également visuelles ». En effet, devant le recul des activités humaines économiques, sociales ou industrielles, la nature et notamment la forêt a repris ses droits et redessinent un nouveau paysage sur la base de friches industrielles sans avenir. C’est ce que le photographe dans ses compositions très graphiques où la nature se mêle aux vestiges industriels du passé.
E.P.