LA PHOTOGRAPHIE FRANÇAISE EXISTE… JE L’AI RENCONTRÉE
MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE, PARIS
7 mars 2018 – 20 mai 2018
Au tournant des années 1980, Jean-Luc Monterosso, qui n’est pas encore directeur de la MEP, se rend à New York où il rencontre alors le conservateur de la collection photographique du MoMA. Lorsqu’il lui demande ce qu’il pense de la photographie contemporaine française, le couperet tombe : « It doesn’t exist ». Plus de trente ans après, et à l’occasion de son départ de la MEP, Jean-Luc Monterosso répond par une grande exposition sur la photographie française de 1980 à nos jours, qui prend la forme d’un récit très personnel et subjectif.
« Au tout début des années 1980, peu de temps après la création du Mois de la Photo, au cours d’un séjour à New York, j’ai souhaité rencontrer John Szarkowski, le célèbre conservateur pour la photographie au MoMA. Il ne me connaissait pas mais avec cette légendaire disponibilité qui est l’apanage des grands professionnels américains, il m’a fixé très rapidement un rendez-vous.
À la fin d’un amical entretien, j’osais lui demander timidement ce qu’il pensait de la jeune photographie française. Il m’a alors répondu : “It doesn’t exist”.
Cette phrase lancée pourtant sans provocation et le plus naturellement du monde comme une évidence n’allait cesser de m’obséder.
Plus de trente ans après, à l’occasion de mon départ de la Maison Européenne de la Photographie, alors que Paris est redevenue une grande capitale de l’image fixe, il m’a paru légitime de tenter d’apporter une réponse.
Pour illustrer ce qui était alors cette jeune photographie française en plein devenir, j’ai choisi dans l’exceptionnelle collection de la MEP, les œuvres de photographes que j’ai rencontrés, et que j’ai aimés.
C’est un choix très subjectif lié à une histoire personnelle, avec des oublis, des absences, mais aussi des partis pris et des convictions. Je peux l’écrire aujourd’hui, oui, la photographie française existe, j’ai eu la chance de la rencontrer et même, parfois, le bonheur de l’accompagner. »
Avec des œuvres de Jean-Christophe Ballot, François-Marie Banier, Bruno Barbey, Martine Barrat, Valérie Belin, Rossella Bellusci, Philippe Bordas, Martial Cherrier, Thierry Cohen, Stéphane Couturier, Martin d’Orgeval, Raphaël Dallaporta, Denis Darzacq, Marie-Laure de Decker, Raymond Depardon, Bernard Faucon, Alain Fleischer, Jean Gaumy, Pierre Gonnord, Hervé Guibert, Françoise Huguier, Dominique Issermann, Michel Journiac, JR, Pascal Kern, Charles Matton, François Méchain, Minot-Gormezano, Sarah Moon, Bruno Mouron et Pascal Rostain, ORLAN, Mathieu Pernot, Philippe Perrin, Pierre et Gilles, Bernard Plossu, Philippe Ramette, Bettina Rheims, Sophie Ristelhueber, Denis Roche, Gérard Rondeau, Georges Rousse, Sebastião Salgado, Klavdij Sluban, Christine Spengler, Keiichi Tahara, Patrick Tosani, Gérard Uféras, Laurent Van der Stockt.
Jean-Luc Monterosso, directeur de la Maison européenne de la photographie
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
A l’occasion de son départ de la direction de la MEP, Jean-Luc Monterosso répond par une grande exposition sur la photographie française de 1980 à nos jours, qui prend la forme d’un récit très personnel et subjectif.
Les photos qui sont exposées sont issues de la collection de la MEP et sont liées à l’histoire personnelle de Jean-Luc Monterosso. De ce fait il prend volontairement le parti de ne présenter que des œuvres de photographes de sa génération. Exit les photographes les plus réputés qui ont incarnés la photographie française de l’après-guerre comme Lartigue, Ronis, Doisneau, Cartier-Bresson, Riboud ou Sabine Weiss. Il n’en demeure pas moins que les photographies exposées relèvent vraiment d’une volonté affirmée de transmettre à la nouvelle génération l’expérience des ainés.
De par l’amplitude de la période traitée et du nombre des photographes impliqués, les sujets traités sont très éclectiques, basculant du portrait à la photo de rue, de l’abstrait à l’urbanisme, du documentaire social au reportage de guerre.
La photo du bombardement de Phnom-Penh en 1975 de Christine Sprengler est effrayante. Tout est sombre. Le sol qui a été retourné par les impacts d’obus est jonché de débris. On se croirait sur un champ de bataille de la Grande Guerre de 14-18. A l’horizon, des colonnes de fumées noires occultent la lumière du soleil dont on aperçoit le halo. Quelques hommes semblent perdus au milieu des débris. Ils doivent chercher les restes de leur maison. Il faudra tout reconstruire.
Les photos de Sebastiao Dalgado réalisées en 1991 sont également très impressionnantes. Elles montrent des pompiers américains venus éteindre les incendies de puits de pétrole incendiés au Koweit, faisant suite aux bombardements effectués pendant la première guerre du golfe. La photo du combattant du feu protégé par la vaporisation de produits chimiques est surréaliste. On se croirait dans un film de science-fiction, mais c’est bien la réalité.
A l’été 1981, le journal Libération passe commande à Raymond Depardon d’envoyer chaque jour une photographie de New-York accompagnée d’une courte légende. Ce sera la série des correspondances new-yorkaises. Trente-six ans plus tard, en mai 2017, le journal Libération renouvelle l’expérience avec le photographe qui réalise chaque jour une image prise à la chambre 20x25 en couleur.
Une photo sans mise en valeur ou encadrement adéquat perd souvent de son intérêt. En 1984, François Méchain a réalisé un triptyque qu’il a intitulé « La mer » avec trois mises en scène qui font évoluer un même environnement. La même image de base très minimaliste est utilisée de manière identique dans les trois cadres exposés. L’image de base représente une mer calme avec l’horizon cadré au tiers supérieur. Le premier encadrement est celui d’un tirage classique gélatino-argentique. Le deuxième représente la même photo qui a été déchirée donnant l’impression de vagues avec leur écume. Quant au troisième encadrement, son verre a été cassé, donnant une impression de tempête. Cette œuvre montre l’étroite relation entre l’image et sa mise en scène qui peut en modifier complètement la lecture, évoluant d’un paysage de mer calme à celui d’une tempête.
Deux portraits méritent de s’y arrêter. Le portrait en noir et blanc d’Eric Rohmer réalisé par François-Marie Banier en 1987, et celui en couleur de Maloyn Chatelin réalisé en 2011 par Denis Darzacq.
En ce qui concerne le premier portrait, le réalisateur ne se préoccupe absolument pas du photographe. Il est penché tel un rapace au-dessus d’une partition posée sur un piano. Sa concentration est au maximum, l’atmosphère studieuse, voire monacale. Rien ne peut le distraire, il est dans son monde.
Le second portrait, à l’opposé, est tout en dynamisme. Après avoir dirigé acteurs, danseurs ou sportifs dans de spectaculaires mises en scène, Denis Darzacq chorégraphie en 2011 des personnes en situation de handicap. Il met leur fragilité à l’épreuve avec beaucoup d’empathie et de sensibilité. Les images présentées dans la série « Act » sont surprenantes et empruntées d’une profonde humanité. En 2012, le photographe sera récompensé du Prix Niepce pour l’ensemble de son œuvre.
Comme Jean-Luc Monterosso qui a du se brider dans le choix des clichés qu’il souhaitait exposer, il est difficile de parler de l’ensemble des œuvres exposées. Finalement cette difficulté démontre toute la richesse de la photographie française qui résolument est bien présente. Contrairement à ce que disait à Jean-Luc Monterosso, lors de leur rencontre en 1980, John Szarkoxwki, le célèbre conservateur pour la photographie du MoMA de New-York, « it doesn’t exist », la jeune photographie française existe belle et bien.
E.P.