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Photo du rédacteurEric Poulhe

GILLES CARON ▪ PARIS 1968

HÔTEL DE VILLE, PARIS

4 mai 2018 – 28 juillet 2018

De Doisneau à Willy Ronis, de Brassaï à l’agence Magnum, les expositions de l’Hôtel de Ville tendent à mettre en évidence le lien indéfectible qui unit Paris et les photographes.

Poursuivant cette politique de valorisation des artistes et de la création photographique, la Ville de Paris a souhaité offrir aux Parisiens et aux visiteurs du monde entier, la première exposition majeure consacrée au photographe Gilles Caron, à l’occasion du cinquantième anniversaire des événements de Mai 68.

Photojournaliste mythique des années 1960, Gilles Caron est en effet le photographe qui a révélé certaines icônes de mai 1968. Parisien de souche, il décrypte la société française tout en couvrant les conflits autour de la planète pour l’agence Gamma. Il met en images les contrastes de la France des Trente Glorieuses, riche de la culture populaire et inquiète des luttes sociales. L’exposition propose ainsi de découvrir ce Paris 68, devenu la capitale d’une révolte que Gilles Caron met en résonance avec le monde.

Suivre Gilles Caron en 68 c’est plonger dans une France des premiers combats étudiants et du succès du cinéma de la Nouvelle Vague, de la mode des sixties qui s’exprime dans la rue comme sur les plateaux de télévision, une vie politique qui tourbillonne autour du vénérable général de Gaulle qui achève son destin d’homme d’État, un pays qui se regarde dans sa capitale en pleine effervescence. 1968 pour Caron, c’est aussi le double regard sur sa ville et sur un monde qui se fracture.

En 7 sections, le visiteur revit le Paris de 68, les étapes d’une année décisive dans l’histoire des mentalités, à travers la présentation d’environ 300 photographies : clichés d’époque et épreuves modernes d’après les négatifs originaux conservés dans les archives en grande partie inédites de la fondation Gilles Caron.


Michel Poivert, commissaire de l’exposition

 

Sélection

 

Commentaire ♥♥♥♥♥

Dans le cadre d’une grande exposition, la Ville de Paris célèbre pour la première fois, le photographe reporter Gilles Caron disparu au Cambodge en 1970 à l’âge de trente ans. A l’occasion du cinquantenaire de mai-68 l’exposition présente les images que le photographe a réalisées pendant les événements, à Nanterre et Paris. Michel Poivert, le commissaire d’exposition, a voulu replacer le travail de reportage dans un cadre plus large en présentant des portraits de personnalités du monde « people », musique, cinéma ou mode, ou des photos réalisées à l’étranger sur des zones de conflits comme le Mexique, le Biafra au Nigéria ou la Guinée-Bissau.

L’exposition débute par les coulisses des sixties dans la mode, le showbizz, le cinéma ou la télévision. Même si ce sont des stars, ce qui intéresse Gilles Caron c’est de les photographier dans les coulisses, dans leur intimité avec toute la fragilité qu’elles dégagent face à une célébrité arrivée trop vite et trop intruisive. Tous les portraits réalisés sont assez originaux et finalement peu connus du grand public. La photo de Romy Schneider est d’une profonde sensualité. Allongée, elle cache le bas de son visage derrière un livre de Samuel Beckett avec un regard inquisiteur dirigé vers une personne tierce que l’on ne voit pas. On a vraiment un doute si la photo est posée ou prise sur le vif.

Dans la continuité des photos de stars, Gilles Caron s’est intéressé à photographier le général de Gaulle à l’occasion de deux voyages officiels en Roumanie et en Turquie. En prenant une multitude de clichés en plan serré du visage, il s’intéresse à l’expression plus qu’à la représentation de l’image officielle du Président de la République. A travers les différents sentiments exprimés, on peut y voir l’inquiétude et le doute sur l’avenir du pays, et deviner un départ inconsciemment programmé.

Les quatre sections suivantes de l’exposition présentent les événements de 68 : « la marmite Nanterre », « la manif, « un théâtre photographique », « formes de l’insurrection », « Paris s’éveille ». Elles caractérisent en quelque sorte la naissance, le rassemblement, l’insurrection et le réveil.

La section « marmite Nanterre » montre la naissance du soulèvement sur le campus de Nanterre. Les images témoignent du contraste entre l’architecture moderniste du campus et le bidonville de Nanterre avec des enfants en guenilles devant leur baraquement de fortune. Autre contraste entre les protagonistes, jeunes en costume-cravate ou en tailleur strict d’une part, et jeunes aux cheveux longs en pantalons pattes d’éléphant ou en mini-jupe. On y voit déjà Daniel Cohn-Bendit dissertant au milieu d’autres étudiants ou d’ouvriers venus rejoindre les contestataires. Même si on comprend maintenant qu’on a affaire à une bombe à retardement, les images montrent des jeunes rassemblés dans l’herbe ou des amphithéâtres, sans agressivité ni violence apparente. Compte tenu de son âge proche de celui des étudiants, Gilles Caron a compris très tôt ce qui se passait. Sa préoccupation est de traduire en image ce qui s’exprime par la prise de parole. Pour cela il s’attache à fixer les regards, les expressions ou prendre en photo les graffitis sur les murs de l’université résumant les revendications.

Dans la section suivante, l’exposition présente la façon dont Gilles Caron va décrire toutes les variations d’une manifestation et restituer le scénario des différents acteurs. Un diaporama présente de manière didactique toute la démarche engagée par le photographe afin de réaliser sa célèbre photo de Daniel Cohn-Bendit toisant un policier à l’entrée de la Sorbonne, le jour de sa convocation. Compte tenu du monde qu’il y avait, étudiants, policiers, badauds, ou journalistes, on se rend compte que la réalisation d’une photo n’est pas simple et qu’il faut jouer des coudes et beaucoup anticiper pour se trouver au bon endroit au bon moment. Au vu du nombre important de photos qu’il a prises avant et après, sous différents angles, il n’est pas sûr que Gilles Caron a eu nécessairement conscience sur le coup de la singularité du cliché qui vaudra au photographe et aussi au modèle, une renommée mondiale. Ce qui est sûr, c’est qu’il était au plus près de l’action et du sujet, établissant même une complicité avec lui.

La section suivante montre la transformation d’une manifestation en insurrection qui dégénère, avec saccage de l’espace public et violences sur les personnes. En regardant les photos, on a l’impression d’être au milieu des acteurs de cette guérilla urbaine. Gilles Caron privilégie l’action, le mouvement, l’instantanéité, le drame, au risque de mettre sa propre vie en danger de en suivant au plus près les protagonistes et les actes de violence des deux camps. La célèbre photo du lanceur de pavé pris de dos, est exposée en quatre grands formats rétro-éclairés qui donnent encore plus de force à l’image.

Au lendemain des manifestations et des combats nocturnes, Gilles Caron revient sur les lieux dans une ville encore endormie. Il prend des photos du chaos et des habitants qui viennent curieux constater les dégâts, ou traversent ce champs de bataille urbain pour vaquer à leurs occupations. On voit des fourgonnettes de police renversée ou des épaves automobiles calcinées comme la DS, symbole ultime de la réussite sociale. Si les photos de révolte ont été prises en noir et blanc, Gilles Caron commence à utiliser la couleur pour les images de l’après combat, un signe certainement du réveil et d’un retour à l’ordre progressif.

Enfin, la dernière section montre des reportages à l’étranger dans des pays en révolte. Les photos du soulèvement du Biafra au Nigéria sont poignantes. On y voit des images d’enfants rachitiques, de mères avec leur bébé allongées à même le sol dans un hôpital de fortune. Une des photos de guerre les plus marquantes, ni violente, ni trash, est celle de Titina Sila, l’héroïne de la guerre d’indépendance de la Guinée-Bisau. Habillée en treillis militaire, un revolver à la ceinture, elle porte un bébé sur son bras droit, un large sourire sur son visage. Que doit-on interpréter ? Une jeune mère, ou une soldate prête à tuer ? Titina Sila sera elle aussi tuée à trente ans lors d’un accrochage avec les troupes Portugaises.

Fidèle à ses principes de coller à l’action, Gilles Caron couvre les conflits au cœur des guérilleros. En 1970, à la fin de la guerre de sécession du Biafra au Nigéria, il part au Tchad couvrir la rébellion des Toubous contre le pouvoir central de Fort-Lamy rebaptisée N'Djaména. Tombé dans une embuscade, avec trois autres journalistes il est retenu un mois par les forces gouvernementales.

Tout juste rentré en France, Gilles Caron repart au Cambodge, au lendemain de la déposition du prince Sihanouk. Avec deux autre Français, le reporter Guy Hannoteaux et le coopérant Michel Visot, il disparait le 5 avril sur la route n°1 qui relie le Cambodge au Vietnam dans une zone contrôlée par les Khmers rouges de Pol Pot. Il avait trente ans. Il laisse un souvenir court mais intense du reporter de guerre, et force le respect.


E.P.


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