WILLY RONIS PAR WILLY RONIS
PAVILLON CARRÉ DE BAUDOUIN, PARIS
22 avril 2018 – 29 septembre 2018
Personnage clé de l’histoire de la photographie française, Willy Ronis (1910-2009) est l’une des plus grands figures de cette photographie des « humanistes », attachée à capter fraternellement l’essentiel de la vie quotidienne des gens. A partir de 1985, Willy se plonge dans son fonds photographique pour sélectionner ce qu’il considère comme l’essentiel de son travail. Il réalise une série de six albums, constituant ainsi son « testament photographique ». Ces albums sont la matrice de cette exposition.
A l’initiative des exécuteurs testamentaires et détenteurs du droit moral de Willy Ronis, Jean Guerry, Daniel Karlin, Roland Rappaport et Gérard Uféras, l’exposition est organisée conjointement par la Mairie du 20e arrondissement et la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (MAP), en partenariat avec l’Agence photographique de le Réunion des musées nationaux – Grand Palais.
A l’invitation de Frédérique Calandra, Maire du 20e arrondissement, Willy Ronis par Willy Ronis est à voir et à écouter du 27 avril au 29 septembre 2018 au Pavillon Carré de Baudouin, qui fête ses dix ans cette année, au cœur de ce quartier de Paris que l’artiste aimait tant.
Devenu reporter photographe en 1936, Willy Ronis mène de front commandes et recherches personnelles. Observant le monde, ses photos dressent une sorte de portrait à la fois intimiste et profond de la société et de l’époque. Elles constituent un immense travelling qui donne à voir, à comprendre et à aimer les gens dans l’ordinaire de leur vie. En plaçant l’homme au centre de son œuvre, en posant sur lui un regard optimiste et bienveillant, Willy Ronis n’en néglige pas pour autant de rendre compte de la dureté de l’époque, d’où ces nombreuses images sur le monde du travail et des luttes ouvrières, marquant son empathie et un engagement social qui perdure tout au long de son œuvre.
En France comme à l’étranger, de multiples expositions et publications, dont Belleville-Ménilmontant en 1954, livre culte auquel une salle entière de l’exposition est consacrée, ont jalonné le parcours de Willy Ronis, marqué entre autre par le Grand Prix national des Arts et des Lettres, qui lui est décerné en 1979, et la grande rétrospective du Palais de Tokyo en 1985 célébrant la donation faite par le photographe de l’ensemble de son œuvre à l’Etat français en 1983. Au cœur de celle-ci figurent en bonne place les six grands albums composés et sélectionnés par Willy Ronis lui-même, qui accompagne chaque photographie de réflexions et de commentaires très détaillés sur les circonstances de la prise de vue comme du matériel utilisé.
Outre les photographies exposées, près de deux cents, réalisées entre 1926 et 2001, le public pourra également feuilleter les albums à partir de bornes composées de tablettes interactives. Par ailleurs, une série de films et de vidéos réalisées sur Willy Ronis sera projetée dans l’auditorium selon une programmation particulière. Une occasion unique d’entrer de plain-pied dans l’univers personnel de l’artiste.
Neuf ans après le décès de Willy Ronis, cette exposition célèbre la clôture de la succession et l’entrée de l’œuvre dans les collections de la MAP, l’établissement du ministère de la Culture qui gère, entre autres, les grandes donations de photographiques faites à l’Etat.
Le commissariat de cette exposition est assuré par Gérard Uféras, photographe, l’un des plus proches amis de Willy Ronis, et par Jean-Claude Gautrand, photographe, journaliste et historien de la photographie française.
Toutes les photographies exposées font l’objet d’un travail exceptionnel au sein du laboratoire de l’Agence photographique de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, qui les diffuse en exclusivité.
Gérard Uféras et Jean-Claude Gautrand, commissaires de l’exposition
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
Quelle magnifique exposition !
On connait bien sûr les photos de Willy Ronis, et pourtant on prend toujours autant de plaisir à les revoir.
A l’occasion de son dixième anniversaire, le Pavillon Carré de Baudouin consacre une rétrospective au photographe dans son espace culturel en haut de la rue de Ménilmontant, au cœur du quartier de Belleville-Ménilmontant qui lui était si cher. La mairie du XXe souhaitant rendre accessible la culture au plus grand nombre, l’exposition est gratuite, et c’est remarquable compte tenu de la qualité et du nombre de tirages présentés. Le photographe aurait certainement apprécié.
Au travers de quelques 200 clichés, l’exposition Willy Ronis par Willy Ronis fait voyager le visiteur dans le Paris populaire du XXe siècle immortalisé par l’œil du photographe humaniste, avec de nombreux commentaires de l’artiste expliquant le contexte de ses photos. Les habitants de Belleville-Ménilmontant seront bien heureux et curieux de redécouvrir les images de leur quartier qui a bien évolué, mais garde néanmoins cette ambiance de village populaire accroché à une colline. La première salle place tout de suite le public dans l’ambiance en proposant des photos de Belleville-Ménilmontant qui ont fait la renommée du photographe. Celle de l’avenue Simon Bolivar depuis l’escalier de la rue Barrelet-de-Ricou, est incroyablement complète décrivant une véritable tranche de vie. Il y a une mère portant son enfant en bas des escaliers, une carriole tirée par un cheval, un ouvrier sur une échelle réparant un feu tricolore, un couple avec un landau et une femme faisant de même, le cordonnier discutant sur le trottoir. La photo des gamins de Belleville est également caractéristique de l’ambiance de Belleville. On y voit quatre enfants installés au-dessus d’une grille sous les escaliers de la rue Vilin qui a aujourd’hui disparue, au profit du parc de Belleville.
La salle suivante au rez-de-chaussée présente les débuts de Willy Ronis en 1926 quand il était jeune adolescent et qu’il a récupéré un appareil Kodak à soufflet 6,5 x 11. Sont présentées ses premières photos réalisées notamment en vallée de Chevreuse. Certaines sont légèrement floues, mais on peut déjà constater les qualités de cadrage du futur photographe de rue.
En montant à l’étage, une dizaine d’autoportraits de l’artiste se trouvent accrochés dans la cage d’escalier. Si ses premiers autoportraits sont assez travaillés et composés, ils deviennent par la suite plus proches du réalisme, comme celui réalisé en 1985 rue des Couronnes dans un jeu de miroirs d’une vitrine de magasin.
La première salle à l’étage est consacrée aux photos de nus. Willy Ronis n’ayant jamais été considéré comme un spécialiste du nu, on connait assez peu son travail hormis le nu au polo rayé ou le célèbre nu provençal. Cette dernière a été réalisée à Gordes pendant l’été torride 1949. Presque par hasard, il prend sa femme Marie-Anne en contre-jour qui, émergeant de la sieste, se rafraichit avec l’eau dans une cuvette. L’image est remplie de douceur et de sensualité. Willy Ronis qui avait oublié cette photo, sera toujours surpris de la reconnaissance qu’elle aura.
Le grand espace à l’étage est consacré à l’œuvre de photographe humaniste. L’exposition se décompose en trois zones : le monde ouvrier, la province et Paris.
Avec l’arrivée du Front Populaire en 1936, Willy Ronis photographie avec frénésie le monde ouvrier, les défilés syndicalistes, les grèves, les femmes et les hommes au travail. Au lendemain de la guerre, il réalise de nombreux reportages sur commande de la presse engagée comme les grèves de la SNECMA en 1947 ou Renault en 1950, celles des mineurs de Saint-Etienne en 1947. Il intervient beaucoup dans le bassin houiller du Pas-de-Calais et réalise notamment en 1947 une photo bouleversante d’un mineur silicosé, dont on peut voir dans son regard, à la fois une grande détresse et une profonde dignité.
Les photos présentées dans la section « La Province » sont plus opportunistes. Par exemple la photo « on va à l’école » qui représente trois enfants de dos au bord de la route avec leur cape et capuche, a été prise alors qu’il se rendait en reportage à la centrale sidérurgique de Richemont. Un autre exemple est celui du cliché pris pendant un éclusage sur l’Escaut qui semblait interminable à Willy Ronis. D’un moment, que l’artiste considérait comme pénible, le photographe en a tiré une de ses meilleures photos. La composition frontale se découpe en trois plans où il se passe à chaque fois quelque chose. En bas, une fillette regarde à l’extérieur à travers un hublot, au milieu, deux mariniers s’activent sur le pont de la péniche, et en haut sur le quai, on voir l’éclusier, les mains dans les poches, surveillant la manœuvre.
Toutes les photos réalisées en Province, sont des marqueurs des modes de vie de la France profonde. Sans jugement, ces images témoignent de la société française et de tous les contrastes qu’on peut y trouver. Dans une approche documentaire, elles viennent compléter celles réalisées à Paris qui sont présentées dans la dernière section.
C’est certainement là qu’on trouve la plus grande densité de photos qui ont rendu l’artiste célèbre.
Le bal en plein air chez Maxe à Joinville-le-Pont, montre un excellent danseur, faisant danser deux filles qui en fait était boiteux. La photo des amoureux de la Bastille a été réalisée au sommet de la colonne de Juillet à la Bastille avec la complicité implicite des protagonistes qui ont accepté que le photographe viole un peu leur intimité. L’image des voitures garées place de la Concorde, très graphique, est tout en douceur et en rondeur. Impossible d’oublier l’image du petit Parisien courant avec sa baguette de pain un large sourire sur son visage, pressé certainement de rentrer à la maison pour le déjeuner. Et puis il y a bien sûr la photo de la péniche aux enfants qui est une des préférées de Willy Ronis. Réalisée en 1959 pendant la crue de la Seine, elle est inattendue car tout s’accorde merveilleusement bien, alors que tout aurait pu s’échapper. Le cadrage avec la courbe du convoi des péniches ondulant entre les deux îles Saint-Louis et la Cité est parfaitement cadré, mais surtout il y a ces deux enfants qui jouent dans la cale de la dernière péniche, événement qui ne pouvait pas être anticipé à l’avance. Cette image est importante pour Willy Ronis, car il s’y réfère toujours quand il a des doutes sur travail et qu’il pense éventuellement à tout abandonner.
Chaque photo prise par Willy Ronis raconte une histoire avec un regard emprunté d’une profonde sensibilité. L’image interpelle et fascine celui qui la regarde. Presque toujours, l’humain est présent. Willy Ronis aimait les gens, c’est sûr. C’est pour ça qu’il est encore aujourd’hui considéré comme un des plus grands photographes humanistes du XXe siècle.
E.P.