YVES MARCHAND ET ROMAIN MEFFRE ▪ BUDAPEST COURTYARDS
- Eric Poulhe
- 15 juin 2018
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2023
POLKA GALERIE, PARIS
7 juin 2018 – 28 juillet 2018

La galerie Polka présente Budapest Courtyards, la nouvelle exposition inédite d’Yves Marchand & Romain Meffre. Après le succès de leurs travaux sur les usines abandonnées d’Industry (2004-ongoing), les vestiges de Detroit (2005-2010), les Theaters américains (2005-ongoing) et l’ile japonaise de Gunkanjima (2008-2012) les deux jeunes photographes français, réunis depuis 2002 par leur passion commune pour les ruines contemporaines, livrent cette fois-ci le fruit de leur travail sur des lieux habités : les cours d’immeubles de Budapest.
Une série inédite et radicalement différente des précédentes, sur le fond et sur la forme, imaginée autour de formats plus petits ainsi que de mosaïques d’images permettant une véritable appréhension sérielle et taxinomique.
C’est derrière les façades fin de siècle de la capitale hongroise que le duo de photographe a enquêté. Pendant deux ans, entre 2014 et 2016, et après de minutieux repérages sur Internet, à partir de cartes satellites, de vues aériennes, de blogs de passionnés d’urbanisme ou même des sites d’annonces immobilières, Yves Marchand & Romain Meffre ont multiplié les allers-retours. Pour tenter de capter les singularités d’une ville phare de la Mittel Europa, noyée dans les paradoxes de sa propre architecture, entre influences viennoises, juives et ottomanes. Imparfaite et raffinée, grande et pauvre, monumentale et chancelante, éblouissante et noire.
Budapest est une « lèpre sur un corps de déesse», une ville « manquée », et « suspecte » écrit le Corbusier. Pastiche de Vienne, elle-même copiée sur le Paris d’Hausmann, elle est une vieille héritière médiévale en même temps que la fille de la révolution industrielle. Et c’est à travers le non-style total de son bâti et l’éclectisme singulier de ses milliers de cours cachées derrière les façades d’immeubles — là où bat le cœur de la ville — que se raconte une histoire impossible. Celle d’une étrange Babel deracinée, irréductible à toute définition architecturale précise.
Les cours de Budapest, Marchand et Meffre veulent en dresser une typologie, forts, toujours, d’un protocole documentaire précis : une chambre photographique et un cadre froid, propice à la réalisation d’un répertoire objectif tels que pourraient le façonner Bernd et Hilla Becher, les chantres de l’objectivité allemande.
Sauf que les carcasses sidérurgiques et minières de la Ruhr qu’ils ont tant photographiées ont cette fois-ci, laissé la place à des cours serties de « gangs » ces fameuses coursives intérieures parcourant plusieurs étages. Elles ne sont pas abandonnées. Mais elles sont restées à l’abri du temps et du monde contemporain. Engloutissant les habitants, elles sont devenues à leur tour des personnages. Des témoins, des conteurs. Les guides du spectateur. Marchand & Meffre détaillent : « Avec leurs murs ocres devenus grisâtres, leur arcades patinées et leur balcons, elles avaient un air de palazzo italien. Mais leur étroitesse et leur multiples coursives renforçaient l’effet de symétrie et leur conféraient aussi un aspect de panoptique carcéral: c’était un ensemble étrange et fascinant (...). »
A travers le caractère de ses cours et leur syncrétisme, la ville de Budapest se dévoile, ajoutent-ils, « comme une synthèse de toutes les références historicistes qui ont marqué la fin du XIXème et le début du XXème siècle : néo-renaissance, néo- roman, néo-byzantin, néo-gothique, néo-baroque, Art Nouveau influencé par le jugendstil, éléments vernaculaires, Bauhaus et tout une kyrielle d’inter-styles peu définissables dérivés des précédents. Cela nous a rappelé l’hyper- éclectisme des salles de spectacle américaines de Theaters. Un ensemble kitch et émouvant oscillant entre nostalgie, exotisme et recherche de modernité. Où l’architecture, comme le visage d’une société en voie de globalisation économique et culturelle, tente de définir une identité qu’elle sent se diluer dans la marche du monde. » Au départ conçue comme une série de quelques dizaines d’images, Budapest Courtyards évolue rapidement vers un ensemble de plus grande envergure. A mesure que les auteurs multiplient les visites et découvrent de nouvelles cours cachées (400 ont été visitées à ce jour).
La série finalisée compile près de 170 images, autour de deux formats inédits — 60x75cm et 120x150cm — un choix délibéré, éloignant les artistes du très grand format, justifié par le caractère typologique de Budapest Courtyards. L’exposition est également composée de polyptiques édités en pièces uniques réunissant 9 ou 21 images sous forme de mosaïques.
Pour les artistes, ce travail s’apprécie comme un — « ensemble descriptif de ce type très particulier d’habitat collectif et un témoignage de l’histoire mouvementée de la ville, de ses batailles, des changements de régimes politiques et économiques, de ses divers aménagements et des petites stratégies d’adaptation individuelle qui en résultent. »
Polka Galerie
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Commentaire ♥♥♥♥♥
La galerie Polka présente la série Budapest Courtyards, la nouvelle exposition inédite d’Yves Marchand et de Romain Meffre. Réunis depuis 2002 par leur passion commune des ruines contemporaines, « Theaters américains », série démarrée en 2005, ou des sites industriels abandonnés, « vestiges de Detroit » (2005-2010), les deux photographes se sont consacrés entre 2014 et 2016 à prendre en photo des lieux habités, les cours d’immeubles de Budapest.
Les images présentées sont extrêmement précises avec une composition très travaillée s’appuyant sur la qualité graphique des façades de couleurs ocre avec des arcanes patinées et des balcons en fer forgé. La symétrie est un élément répétitif dans la plupart des clichés. L’atmosphère est assez froide faisant penser à un environnement carcéral, sans aucune présence humaine. Pourtant les images laissent dans le cadre des objets qui prouvent bien que les lieux sont habités, comme un vélo sur le palier ou des pots de fleurs accrochés au garde-corps. Une seule fois, une jeune femme est présente dans le cadre, lisant assise dans une coursive derrière une façade recouverte d’une végétation envahissante.
La lumière est naturelle souvent avec un éclairage minimaliste de lumière du jour. Parfois elle est renforcée par l’éclairage des parties communes, cages d’escalier ou couloirs. Certaines façades ont été mises en valeur par des éclairages indirects par spots comme ceux utilisés pour les monuments historiques.
Avec ces photos limitées à l’architecture de la cour, le spectateur doit imaginer la vie qui se déroule dans ce lieu. Les tirages présentés sont à la taille 60x75 ou 120x150 et l’on peut voir la qualité du piqué. L’exposition est également composée de polyptiques réunissant neuf photos composant un ensemble cohérent telle une mosaïque.
Ce travail se veut finalement un travail documentaire architectural oubliant totalement la représentation humaine. C’est une volonté délibérée des artistes. C’est peut-être dommage qu’il n’y ait pas quelque part dans l’image un détail humain, même discret, qui rappelle que ces lieux ont une vie.
E.P.