MEMORIA, PHOTOGRAPHIES DE JAMES NACHTWEY
MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE, PARIS
30 mai 2018 – 29 juillet 2018
Réalisée en étroite collaboration avec James Nachtwey et Roberto Koch, cette exposition est la plus grande rétrospective jamais dédiée au travail du photographe. À travers son regard personnel, elle propose une remarquable réflexion sur le thème de la guerre, dont la portée est nécessairement collective. Dix-sept sections différentes constituent le parcours de l’exposition, formant un ensemble de près de deux cents photographies.
Elle rassemble ainsi les images de celui que l’on peut considérer comme le photoreporter le plus prolifique de ces dernières décennies, un observateur exceptionnel de notre monde contemporain et probablement l’un de ses témoins les plus clairvoyants.
James Nachtwey, dont la carrière est jalonnée par de nombreux prix et récompenses dans des domaines variés, est mondialement reconnu comme l’héritier de Robert Capa. Sa force morale et ses engagements sociaux et civils l’ont mené à consacrer sa vie entière à la photographie documentaire. Il n’a de cesse de photographier la douleur, l’injustice, la violence et la mort. Mais pour que jamais ne soient oubliées la souffrance et la solitude humaines, il crée des images d’une beauté vertigineuse, impeccablement cadrées et éclairées, et aux effets quasi cinématographiques. L’extraordinaire beauté et l’infinie tendresse qui en émanent sont autant de moyens de lutter et de résister.
Dans une posture toujours de compassion, il saisit des scènes et des contextes variés : en Bosnie, à Mostar, où un tireur d’élite vise à travers une fenêtre, la famine au Darfour, les malades de la tuberculose ou bien encore les terribles effets de l’agent orange au Vietnam.
Les photographies de l’exposition sont issues des reportages les plus significatifs de James Nachtwey : Le Salvador, les Territoires palestiniens, l’Indonésie, le Japon, la Roumanie, la Somalie, le Soudan, le Rwanda, l’Irak, l’Afghanistan, le Népal, les États-Unis avec entre autres un témoignage singulier des attentats du 11 septembre, ainsi que de nombreux autres pays. L’exposition s’achève sur un reportage traitant de l’immigration en Europe, aujourd’hui plus que jamais d’actualité.
James Nachtwey dépeint la guerre depuis 40 ans, montrant sans détour le sort des populations qui en font la terrible expérience. Ses images révèlent une humanité mutilée par la violence, dévastée par les maladies et la faim, une humanité qui, par nature, semble se fourvoyer.
« J’ai été un témoin. Un témoin de ces gens à qui l’on a tout pris – leurs maisons, leurs familles, leurs bras et leurs jambes, et jusqu’au discernement. Et pourtant, une chose ne leur avait été soustraite, la dignité, cet élément irréductible de l’être humain. Ces images en sont mon témoignage. »
Laurie Hurwitz, Roberto Koch et James Nachtwey, commissaires d’exposition
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
La Maison européenne de la photographie présente l’exposition du photographe reporter James Nachtwey qui depuis quarante ans photographie la douleur, l’injustice, la violence et la mort. Il se place quasiment toujours du côté des victimes et veut par l’image dénoncer toutes les horreurs auxquelles il a pu être confrontées. C’est assurément un photographe militant qui pense que l’image est également une arme témoignant d’une réalité insupportable qu’il faut dénoncer.
James Nachtwey a compris très tôt que le photographe, à travers son travail, doit s’engager et en appeler à la conscience de ceux qui vont regarder l’image et qu’il est interdit de détourner le regard. Il saisit des scènes souvent horribles et bouleversantes, mais le plus étonnant c’est que ses images sont d’une extraordinaire beauté et d’une infinie tendresse. Ses cadrages sont toujours très précis et l’éclairage parfait. Ça n’en donne que plus d’écho au message qu’il souhaite faire passer. Avec la force de ses clichés, il élargit le récit en le plaçant dans un contexte politique plus large qu’il essaye de traduire dans son image.
Il y a assez peu de photos en couleur dont certaines se justifient parfaitement. Par exemple au Salvador, la couleur pastel rose et bleu des robes des petites filles sortant de l’église dans une tourbillon de poussière, contraste avec l’environnement de couleur sable dans lequel évolue l’hélicoptère. Pour ce qui est des photos couleurs du 11 septembre 2001 à New York, il aurait peut-être été plus dramatique d’avoir du noir et blanc, l’environnement étant déjà très noir.
James Nachtwey a beaucoup photographié la guerre comme celle des Balkans ou en Afghanistan. La mort y est prégnante, même quand les morts ne sont pas montrés. Suggérer la mort a quelques fois plus de force, comme le cliché d’un père avec son fils sur un terrain de football reconverti en cimetière, ou une femme totalement voilée se recueillant sur une tombe et dont on imagine la détresse intérieure.
Dans d’autres reportages, le photographe n’hésite pas à montrer les morts avec des images très crues. En Somalie ou au Sud-Soudan, ce sont les conséquences indirectes de la guerre avec la famine, qui a fait le plus de victimes. Les images sont très dures, insupportables à regarder comme cet homme qui n’est plus qu’un squelette et qui avance à quatre pattes comme un zombie. Comme peut-on atteindre un tel niveau d’inhumanité ? C’est ce que veut dénoncer James Nachtwey et il ne prend aucun gant pour le faire.
Il en est de même pour ses photos de Roumanie réalisée en 1990 dans des orphelinats ou des hôpitaux psychiatriques, dans un pays qui intégrera plus tard la communauté européenne. Devant l’insupportable, le photographe a réussi à aller au-delà et à témoigner avec son appareil, ce que personne n’aurait cru sans voir les images. Les photos des enfants, surtout, vont marquer la communauté occidentale, qui va enfin réagir.
En parallèle de ses reportages de guerre, James Nachtwey couvre également les sujets sociaux dans le monde entier, comme la toxicomanie, la pauvreté, le crime ou la pollution industrielle. Les photos réalisées au début des années 90 dans les ex-pays de l’est, sont en couleur et montrent tous les dégâts d’une production industrielle outrancière qui n’a pas beaucoup d’égard envers les humains. On se croirait revenu au début du XXe siècle à l’époque de Zola. Plus de quarante après il montre au Vietman les conséquences de l’utilisation de l’agent orange sur des générations d’enfants nés avec des malformations physiques lourdes.
James Nachtwey est toujours en activité et travaillent actuellement sur l’exode et les réfugiés Syriens qui arrivent sur l’île de Lesbos en Grèce ou par voie terrestre en Croatie. Il est au plus près des migrants, quelques fois de l’eau jusqu’à la taille, témoignant à la fois de leur détresse et de leur soulagement de fouler le sol européen après le calvaire qu’ils ont vécu.
Cette exposition est bouleversante car elle nous interroge, nous oblige à ne pas détourner les yeux. Comme le dit Roberto Koch, un des commissaires de l’exposition « nous regardons les images de Nachtwey et nous le savons désormais : nous ne pouvons plus jamais oublier ».
E.P.