YURI KOZYREV ET KADIR VAN LOHUIZEN ▪ ARCTIQUE, NOUVELLE FRONTIÈRE
- Eric Poulhe
- 7 nov. 2018
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 juin 2023
CITÉ DES SCIENCES ET DE L’INDUSTRIE, PARIS
7 novembre 2018 – 9 décembre 2018

L’exposition photographique « Arctique : nouvelle frontière » présente le reportage des lauréats du prix Carmignac 2018, dont la neuvième édition était consacrée à l’Arctique.
Les journalistes Yuri Kozyrev et Kadir van Lohuizen ont été récompensés pour leur investigation photographique. Sur un territoire de 15 000 kilomètres, ils ont exploré les effets du changement climatique et leurs conséquences sur le reste de la planète.
En parcourant, pour l’un, la route des ports russes de l’Arctique, et pour l’autre, le passage du Nord-Ouest, leurs travaux attestent des mutations irréversibles que subit l’Arctique :
- fonte du permafrost empêchant la transhumance du dernier peuple nomade de la région ;
- ouverture de nouvelles routes maritimes et commerciales pour le passage des porte-conteneurs ;
- populations rendues malades par l’exploitation du nickel ;
- installation de la première centrale nucléaire flottante ;
- poussée de 15 cm par jour de la calotte glacière vers l’océan, entraînant une montée des eaux ;
- militarisation de la région ;
- disparition sous les eaux d’un village autochtone de l’Alaska prévue en 2025...
La soixantaine de photographies au format 60 x 80 complétée par cinq films constituent ainsi un témoignage alarmant sur les transformations et les bouleversements opérés dans cette région, induits par le tourisme, le commerce, la militarisation, l’exploitation des ressources minérales et gazières. Chaque année depuis 2009, la Fondation Carmignac décerne un prix du photojournalisme qui récompense un reportage photographique et journalistique d’investigation sur les violations des droits humains dans le monde.
La Cité des sciences et de l'industrie
Sélection
Yuri Kozyrev
La route des ports russes de l’Arctique
Kadir van Lohuizen
Le passage du Nord-Ouest
Commentaire ♥♥♥♥♥
Présidé par le climatologue Jean Jouzel, Prix Vetlesen 2012 et co-lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2007 en tant que directeur du GIEC, et sous le haut-patronage de la Ministre Ségolène Royal, ambassadrice pour les Pôles, le 9ème Prix Carmignac du photojournalisme, consacré à l’Arctique, a été décerné à Yuri Kozyrev et Kadir van Lohuizen. Leur projet de double expédition polaire « Arctique : Nouvelle frontière » porte sur les conséquences de la fonte de la banquise – et sa disparition totale à moyen terme – pour la planète.
Cette expédition a également fait l’objet d’un reportage très fourni dans le magazine GEO, qui est partenaire de l’exposition présentée à la cité des sciences et de l’industrie dans deux espaces dédiés à chaque photographe, présentant chacun une trentaine de photos avec des légendes et des panneaux explicatifs très détaillés.
Le Russe Yuri Kozyrev est parti de l’extrémité nord-est de la Sibérie, la Tchoukotka, proche du détroit de Béring pour rejoindre la péninsule de Kola adossée à la Finlande. Il s’est attaché particulièrement à montrer les ravages du développement industriel minier et son impact sur les populations locales comme les Nénètses réduite des deux tiers en trente ans, mais qui vit toujours de l’élevage des rennes, de la chasse et de la pêche. Lors de son voyage, il a pu constater également l’impact du réchauffement climatique qui permet maintenant d’ouvrir la route maritime du nord-est réduisant de moitié le temps de trajet entre le nord de l’Europe et la Chine. Pour la première fois cet été, un navire de très grande dimension avec 3.6000 conteneurs est arrivé à bon port, fin septembre 2018. Mais l’amplification du phénomène de réchauffement et de la fonte des couches supérieures du pergélisol, sol normalement constamment gelé, peut déclencher des effondrements spectaculaires et la dégradation des cours d’eau. Cette situation n’est pas pour déplaire aux chasseurs d’ivoire qui peuvent récupérer aisément des défenses de mammouths désormais accessibles.
Les photos de Yuri Kozyrev montrant les villes créées à l’époque des goulags sont édifiantes, surréalistes et particulièrement inquiétantes. Tout est gris, laid et la pollution de l’air, de l’eau et du sol omniprésente. A Norlisk, le gigantesque complexe métallurgique et minier pollue autant que la France entière. La toundra aux alentours est brulée par les pluies acides et les émanations toxiques. La végétation se charge de métaux lourds et l’espérance de vie des habitants ne dépasse pas soixante ans. Et le pire c’est que ça ne risque pas de s’arranger ! Le réchauffement climatique permet d’accéder plus facilement à des ressources minières énormes, et accentue ainsi la dégradation de l’environnement, la faune, la flore et la population.
Quant à Kadir van Lohuizen, il a suivi le passage du nord-ouest, depuis l’archipel du Svalbard jusqu’à l’extrême nord de l’Alaska à Point Hope du côté américain du détroit de Béring. Il s’est intéressé à l’arrivée des bateaux de croisière des touristes à Longyearbyen au Spitzberg, la plus grande île du Svalbard. Au Groenland, il a photographié les icebergs et l’environnement de la banquise, en mettant en valeur l’aspect graphique de ses clichés.
En Alaska, il s’est plutôt intéressé aux populations locales à Kivalina et Point Hope en partageant le quotidien des habitants encore autorisés à chasser les baleines boréales à raison de dix par an pour leurs besoins propres. Ici aussi, le réchauffement a un impact sur l’environnement et la vie des populations. Situé à l’extrémité d’une île-barrière de douze kilomètres de long qui sépare la mer des Tchouktches et l’embouchure de la rivière Kivalina, le village de même nom sera sous les eaux d’ci 2025, selon les experts. A point Hope, du fait du réchauffement, les chasseurs de baleines éprouvent maintenant plus de difficultés. La chasse commence quand la banquise commence à se rompre, formant des chenaux où viennent respirer les cétacés lors de leur migration vers le nord. Mais si la glace fond, les baleines sont beaucoup plus libres de leurs mouvements et donc plus difficiles à chasser, au désespoir des populations locales.
Toutes les photos réalisées par Kadir van Lohuizen sont en couleur et les tirages de grand format sont d’une très grande qualité. On aurait pu apprécier que les photos réalisées en Alaska avec les chasseurs de baleines soient réalisées en noir et blanc, renforçant sans doute encore le désarroi des populations face au changement de leur environnement et des contraintes nouvelles remettant en cause leurs modes de vie ancestraux.
Les deux reportages réalisés par les deux photographes sont exceptionnels et, sous bien des aspects, très inquiétants sur l’avenir du Grand Nord en pleine mutation. Il apparait clairement que cette zone représente désormais un enjeu considérable opposant un développement industriel et économique en plein essor, avec la préservation d’un environnement bien fragile.
E.P.