AMNESTY INTERNATIONAL ▪ LES UNS ENVERS LES AUTRES
GALERIE WANTED, PARIS
6 décembre 2018 – 12 janvier 2019
La magie de la Déclaration universelle des droits de l’homme, texte le plus traduit au monde, est d’avoir formulé l’essentiel de ce qui nous rassemble et nous fait nous rassembler. Au cœur de ce projet inédit se trouve gravée notre aspiration commune : être, être vivant et vivre.
Il aura fallu des millénaires d’horreurs, d’esclavage, de tortures. Il aura fallu la sidération, l’impensable des camps de la mort pour enfin s’accorder sur des mots qui fédèrent. Liberté, dignité, justices sont devenues les fondements d’une utopie très concrète traduite en trente articles de droits, qui obligent autant qu’ils nous protègent.
Ce 70e anniversaire incite à ne se parer ni d’optimisme ni de pessimisme. Des choses vont mal et des choses vont mieux. Parce que nul ne peut ignorer les vents contraires qui de partout et de tout temps persistent à faire émerger des heures sombres, faire vivre ces droits est un impératif. C’est notre conviction que, si nous bénéficions par naissance de ces droits, nous avons aussi le pouvoir de veiller à leur respect.
Chez Amnesty International, nous ne cessons de revendiquer haut et fort notre attachement à cette Déclaration qui éclaire tous nos combats. Pour le témoigner à nouveau, nous avons invité des artistes majeurs à s’emparer du texte et en révéler l’ardente actualité. Une déambulation autour de notions essentielles, un chemin qui s’ouvre sur une certitude : les droits humains ne sont pas un privilège, et s’ils sont déjà des acquis pour certains, ils demeurent des espoirs pour d’autres. Il est aujourd’hui impossible d’imaginer le monde sans cette référence à partir de laquelle se mesurent la conscience du pire et l’espoir d’un meilleur.
Alexandre Jalbert et Pauline David - Amnesty International
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
Dans le cadre du 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Amnesty International présente à la Galerie Wanted l’exposition « Les uns envers les Autres » afin d’attester de l’actualité du texte et de sa modernité. Le titre de l’exposition fait écho à un extrait de l’article premier de la Déclaration.
Neuf photographes contemporains ont été sollicités afin de créer des œuvres inédites permettant de s’interroger sur le texte dans un monde qui a radicalement changé depuis soixante-dix ans, mais dont les problématiques restent toujours d’actualité. Chacun s’est vu confier un thème qu’il a développé avec son propre regard. Lorenzo Meloni « Asile », Zanele Muholi « Libre », Claudia Huidobro & Tendance Floue « Être », Smith « Aimer », Yann Rabanier « Digne », Ulrich Lebeuf « Vivre », Anton Renborg « Savoir », Bruce Gilden « Défendre », Sebastian Liste « Justice ».
Sur le thème du droit d’asile, Lorenzo Meloni a rencontré des migrants bloqués dans des camps de réfugiés sur une île, ou d’autres tentant de franchir des montagnes entre l’Italie et la France ou en Serbie. Chaque migration est une histoire individuelle. Les photos présentées par le photographe témoignent crûment de cette situation en montrant à la fois le désespoir de ces êtres humains, mais également leur détermination.
Pour illustrer la liberté, Zanele Muholi présente un seul grand format en noir et blanc pris dans la prison historique Eastern State Penitentiary à Philadelphie aux Etats-Unis. L’image montre la grille d’un cachot avec derrière les barreaux, le regard fixe d’un visage noir censé évoqué la résilience. On a l’impression de revenir deux siècles en arrière au moment de l’esclavagisme et de l’enfermement des esclaves qui avaient des velléités à se rebeller.
Le premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme proclame que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». L’humain, quand il se tient debout est un être vertical, entre équilibre et vertige. A partir du fond photographique du collectif Tendance Floue, Claudia Huidobro a voulu rechercher cette verticalité, que ce soient des silhouettes, des visages ou des mains.
Aimer, quoi de plus essentiel ? Pour des raisons culturelles, légales ou religieuses, des amours sont souvent empêchés. Le portrait de famille en grand format montre une famille qui, pour Smith, est tout sauf traditionnelle. « Ses membres, LGBTQIA+ ou hétérosexuels cisgenres déconstruits, colocataires d’animaux, célibataires ou polyamoureux-ses, pansexuel-les ou écosexuel-les, ne sont pas liés par l’ascendance ni la généalogie […] Une famille sans mariage ni descendance, peuplée de parents, proches, choisis, latéraux, amoureux et compostables. »
Pour illustrer la dignité, Yann Rabanier a réalisé une série de nus anthropomorphiques qu’il a imprimés à l’échelle 1 sur des post-its qui ont été collés sur le mur. Le rendu est assez étonnant !
La série « Isabelle et Amandine, la vallée des oubliés » de Ulrich Lebeuf, témoignant de l’action de vivre, est certainement la plus touchante. En 2013, le photographe réalise un reportage sur la précarité en milieu rural et passe deux mois à Berteaucourt-les-Dames dans la Somme. Dans une maison isolée, il rencontre Isabelle une mère alcoolique et sa fille de seize ans, Amandine qu’elle adore. La misère - pas de travail, des revenus minimums, la mort - du père et d’un frère, et la souffrance - l’isolement, l’alcool, la dureté de la vie, sont omniprésentes dans la plupart des clichés. Et pourtant elles vivent. La jeune fille réservée, a passé son temps à cacher cette précarité et tout fait pour se battre et s’en sortir. Cinq ans après, en 2018, elle est maman d’un jeune Matthew qu’elle élève seule, et même si elle habite ailleurs, elle est convaincue que c’est désormais à son tour d’aider sa mère. Dans tous les clichés, on ressent la confiance que ces deux femmes ont témoigné au photographe qui dévoile toute leur intimité et leur souffrance sans aucun filtre, mais avec beaucoup de tendresse. Amandine témoigne que le photographe, devenu un ami, les a aidées par ses images à ne pas fermer les yeux sur les difficultés, ne pas s’apitoyer sur leur sort, et se tourner vers un avenir meilleur avec détermination. « La misère n’est pas toujours une fatalité, c’est parfois une bénédiction ! Ma misère m’a bénie car je sais que grâce à elle j’apprendrai à mon enfant, comme ma mère me les a apprises, des valeurs qui se perdent : l’humilité, l’humanité et la compassion. ». Ce reportage est exceptionnel d’humanité et d’espoir. On n’a qu’une envie, les aider à s’en sortir !
Pour ceux qui en sont privés, l’éducation est un espoir. Pour ceux qui en bénéficient, l’éducation est une chance. Pour l’humanité, c’est un droit. Anton Renborg porte son regard sur le savoir en réalisant une série de portraits de jeunes pris de plein pied en extérieur sans aucune mise en scène ni éclairage particulier.
Bruce Gilden a réalisé des clichés de héros discrets qui oeuvrent partout dans le monde pour la jouissance des droits humains, très souvent au péril de leur propre vie. Pour bien mettre en avant le visage de ces hommes et ces femmes souvent inconnus du grand public, le photographe a réalisé ses portraits comme s’il s’agissait de photos d’identité. La normalité d’une action qui est tout sauf normale.
La loi est normalement là pour protéger et corriger les inégalités entre le pot de terre et le pot de fer. Dans le monde, la justice n’est pas toujours appliquée de manière équitable. Sebastian Liste s’est rendu au Brésil en Amazonie pour dénoncer les inégalités et la violence dont la partie émergée de l’iceberg est la destruction de la forêt tropicale et l’appauvrissement des paysans privés de leur terre.
L’exposition, assurément, interpelle. Il n’y a pourtant aucune image choquante, de guerre, de morts, de sang ou de violence. Tout est sous-entendu, suggéré et le message n’en est que plus fort. Il est renforcé par des textes qui présentent remarquablement le contexte du thème traité avec l’approche souhaitée par le photographe. Une vraie réussite !
E.P.