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Photo du rédacteurEric Poulhe

VIVIAN MAIER ▪ THE COLOR WORK

LES DOUCHES LA GALERIE, PARIS

19 janvier 2019 – 31 mars 2019

Un des préceptes incontournables de la photographie veut que les meilleurs photographes de rue soient ceux qui ont appris à être invisibles, ou du moins, à se convaincre qu’ils le sont. […]

En 2009, c’est sans crier gare que la tornade Vivian Maier est entrée dans l’histoire déjà très riche de la photographie de rue. En octobre de cette année-là, j’ai reçu un e-mail de John Maloof. Il était tombé sur une mine de négatifs, de diapositives et de tirages lors d’une vente aux enchères dans un entrepôt de stockage. […]

En faisant défiler ces clichés en vrac, j’ai été frappé par la sensibilité et le timing de Vivian Maier : son attitude incroyablement positive, son sens du cadrage, sa témérité à se rapprocher volontairement de son sujet, la sincérité de sa curiosité, et une indéniable chaleur humaine, doublée d’ironie et d’humour – tout cela donnait l’impression d’un regard sur la vie d’une grande cohérence. Après avoir regardé toutes les photos, j’ai été envahi de ce plaisir que l’on ressent à la vue d’un travail intelligent et évocateur. […]

Qui était donc cette femme ? […]

Il y avait des portraits pleins de tendresse, et de fabuleux moments pris sur le vif. Des paysages urbains et des enfants qui jouent. De petits gestes, des détails infimes majestueusement détectés et saisis au vol. Et aussi des images de personnes âgées, indigentes ou à la dérive, à Chicago et à New York. Mais surtout, on sentait que ce travail en couleur était guidé par une furieuse intelligence. […] J’étais certain qu’elle ne faisait pas de tirages couleur, car quasiment personne n’en faisait à l’époque... Les photos étaient donc forcément restées cachées dans des cartons, influençant probablement fort peu son parcours d’artiste, et pourtant c’étaient des œuvres d’une grande valeur pour nous. […]

On dirait une vieille fille timide, ou une touriste mal à l’aise dans la grande ville... mais que nenni ! Elle travaillait comme gouvernante, […] Sa profession lui a permis d’arpenter les rues à sa guise, de faire toutes les photos qu’elle voulait. Ses photographies laissent clairement transparaître sa rapidité à percevoir les comportements humains, le moment en train de se produire, un geste furtif, une expression sur un visage […].

Cependant, il me semble que Vivian Maier préférait le noir et blanc, qui donnait plus de force à ses œuvres. La pellicule noir et blanc était d’un maniement plus rapide, contrairement au Kodachrome, extrêmement lent et donc plus délicat. Avec le noir et blanc, elle pouvait obtenir des tirages et se pencher sur son travail, ce qui facilitait son approche instinctive. Sa passion du jeu visuel, la force et la pureté de son intuition et son amour infini de la photographie ressortent plus clairement en noir et blanc. C’est ce support qui lui a permis de persévérer, d’approcher de si près policiers, ivrognes, voyous et autres fanfarons, ainsi que des vieux et des infirmes, tout en gardant la tête froide […].

Le travail en couleur de Vivian Maier recèle néanmoins des trésors […].

Au détour de chaque image, on la sent motivée par la couleur quand le flot de la vie quotidienne lui offre un « incident coloré ». […]

Vivian Maier compte parmi les premiers poètes de la photographie en couleur.

Joel Meyerowitz

 

Sélection

 

Commentaire ♥♥♥♥♥

Vivian Maier, née en 1926 dans le Bronx d’un père austro-hongrois et d’une mère française, est nourrice de profession. Profitant de chaque temps libre, son Rolleiflex au cou, elle photographie les rues de Chicago et New York avec un regard aiguisé sur les personnes qu’elle croise.

Mais ne montrant ses photos à personne, son talent, digne des meilleurs photographes de rue, restera anonyme toute sa vie. La récente découverte de ses clichés est une histoire incroyable que ne renieraient pas les meilleures productions Hollywoodiennes. Cette histoire a d’ailleurs fait l’objet d’un film documentaire « à la recherche de Vivian Maier », réalisé par John Maloof et Charlie Siskel, nominé en 2015 pour l’oscar du meilleur documentaire.

A la recherche d’images de Chicago, John Maloof découvre en 2007 dans une salle de vente de Chicago un lot contenant des milliers de négatifs, ainsi que des pellicules non développées et quelques tirages. Il rachète et complète par la suite ce lot avec de nombreuses boîtes de négatifs, pellicules et documents. Ses recherches sur internet restent infructueuses jusqu’en 2009, lorsqu’un avis de décès est publié dans le Chicago Tribune, indiquant que Vivian Maier est décédée quelques jours plus tôt, à l’âge de quatre-vingt-trois ans.

Sur la base d’un catalogue entre 100 000 et 150 000 négatifs, les photographies de Vivian Maier sont exposées à partir de 2011 dans le monde entier. Sont également publiés les livres « Street Photographer » en 2011, « Self-portraits » en 2013, puis « The Color Work » en 2018 dont les Douches la Galerie présente un extrait des photographies que Vivian Maier n’a jamais eu l’occasion de voir puisque la plupart des négatifs n’ont jamais été tirés.

Les photographies exposées dépeignent la vie dans les rues de Chicago et de New York des années cinquante à quatre-vingt, ainsi qu’une série de célèbres autoportraits que Vivian Maier a réalisé en se jouant des vitres et des miroirs. Comme le signale le célèbre photographe de la couleur, Joel Meyerowitz qui a signé la préface du livre, on a le sentiment que Vivian Maier maîtrisait plus le noir et blanc que la couleur, peut-être aussi parce qu’elle développait elle-même ses films a contrario de la couleur qu’elle a laissée à l’état de négatifs. On y retrouve néanmoins ce même regard aiguisé et cette sensibilité caractéristique qu’elle porte sur les personnages qu’elle photographie au détour d’une rue. Mais le rendu semble moins percutant. Les Douches la Galerie a eu la bonne idée de présenter également des clichés en noir et blanc et notamment plusieurs autoportraits qui renforce cette impression.

E.P.

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