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Photo du rédacteurEric Poulhe

BOURSE DU TALENT 2018

BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE, PARIS

14 décembre 2018 – 3 mars 2019

À l’instar de cet arbre photographié au Rwanda par Marie Moroni, nous dévoilant le réseau de ses racines fragilisées par un glissement de terrain, nombreuses sont les images de la nouvelle édition de la Bourse du Talent à évoquer la fracture d’existences accablées, réprouvées, déréglées. Cette année, dans la sélection des photographies, une série de dualités s’exprime – enraciné et déraciné, morne et excessif, traditionnel et moderne, libre et assigné, fixe et mobile, cadré et décadré... –, mais l’essentiel ne réside pas tant dans la contradiction apparente de ces termes que dans le recoupement que cette confrontation suggère.

Ainsi, dans les travaux de Marianne Barthélemy, Hannah Modigh, Pierre Faure, William Bunel ou Marie Moroni, le déracinement des sujets photographiés, qu’ils soient marginalisés socialement ou ethniquement, ne se résout que par la réappropriation de leur héritage et de leur dignité. La révolte du collectif chez Nicole Peskine, les bouleversements ou l’extravagance des corps chez Hannibal Volkoff, Lila Neutre, Camille Ropert, ou encore Delphine Blast font voler en éclats le joug de l’ancien monde, ses contraintes et ses préjugés, pour mieux exalter une forme de résistance ou de non-conformisme. Dans leurs photographies de paysages, Nathalie Déposé, Patrick Wack ou Julien Mauve activent en creux les figures de l’exilé, du pionnier et de l’aventurier en privilégiant l’errance et les métamorphoses de l’imaginaire et de la mémoire. (…)

Depuis onze ans, la BnF présente les photographies lauréates de la Bourse du Talent, qui récompense de jeunes photographes. Organisée par Photographie.com et Picto, cette exposition qui prend pour thèmes le paysage, le reportage, le portrait et la mode, est devenue un moment incontournable de la reconnaissance des talents émergents. Afin de contribuer à sauvegarder la mémoire de la création, qui deviendra patrimoine au fil du temps, les partenaires font don à la BnF de tirages qui viennent enrichir la collection de photographie contemporaine du département des Estampes et de la photographie.


Héloïse Conesa

 

Sélection

 

Commentaire ♥♥♥♥

Depuis 2007, les lauréats et les coups de cœur de la Bourse du Talent sont présentés à la Bibliothèque nationale de France (BnF), lors d'une exposition annuelle de la mi-décembre à la mi-février. Leurs œuvres viennent à cette occasion enrichir les collections de la BnF. Organisée par Photographie.com et Picto, le concours et l’exposition s’articule autour de quatre thèmes, le paysage, la mode, le portrait et le reportage.

Dans la catégorie « Espace, paysage & architecture », la lauréate est Nathalie Déposé. William Bunel, Julien Mauve et Patrick Wack sont les trois coups de cœur.

Nathalie Déposé remonte le temps en refaisant le parcours de son grand-père qui, à l’âge de dix ans, a fui l’Espagne pour la France et traversé seul la frontière. La série « La frontière » retrace cet exil en mêlant de nouvelles prises de vues à d’anciens clichés montrant cette frontière séparant le souvenir de l’oubli, et symbolisée par un liseré noir que l’on retrouve parfois d’une photo à l’autre.

Dans la série « La lente virevolte », William Bunel réalise un reportage sur les quartiers nord de Marseille. Dans un espace urbain oppressant, il montre des habitants résistants malgré l’atmosphère de violence, de trafics de drogue et de tensions entre les communautés.

Parti à la recherche d’un lieu qui évoquerait l’atmosphère d’un ile fantôme, Julien Mauve prend pour décor une île japonaise dont le nom légendaire Akitsu Shima « L’île aux libellules », renvoie dans l’imaginaire nippon au pouvoir de la nature. Denses et oppressantes, ses photographies renvoient à l’univers des récits d’aventure et d’anticipation.

Dans « Out West », Patrick Wack emprunte l’imagerie romanesque du Far West américain afin d’évoquer la transformation des paysages du Xinjiang, province située au nord-ouest de la Chine. Riche en gisements de pétrole, cette région est devenue la nouvelle frontière autrefois première étape de la route de la soie. Le président Xi Jinping veut en raviver la splendeur passée par tous les moyens, quitte à déporter et rééduquer les populations locales de culture musulmane.

Dans la catégorie « Mode & transversalité », la lauréate est Marie Moroni. Camille Ropert, Lila Neutre et Hannibal Volkoff sont les trois coups de cœur. Marie Moroni a réalisé en 2015 un reportage sur des brodeuses au Rwanda qui fut un coup de cœur.

Elle y retourne en 2016 afin de compléter ses portraits et collecter les témoignages de chacune d’elles qu’elle regroupera dans cinq ouvrages. Ce travail est à la frontière du documentaire, du portrait et de la mode.

Dans la série « Reprendriez-vous un peu de thé ? », Camille Ropert questionne le corps éprouvé par la maladie à différents stades, l’annonce, la confrontation aux préjugés et la reconstruction. En représentant les corps dénudés sans artifice, la photographe aborde la représentation du corps au-delà des normes de beauté établies.

Lila Neutre montre dans sa série « Sculpter le soi », diverses communautés qui vivent par et pour l’apparence. Ses portraits de plein pied sont inspirés du portrait d’apparat, et donnent aux personnages un caractère d’icônes.

La série « Nous naissons partout » d’Hannibal Volkoff est une chronique en images d’une certaine jeunesse des années 2010 pour qui marginalité et provocation deviennent l’étendard d’une génération de la crise. Face à l’ordre social établi, cette jeunesse se réfugie dans un univers subversif qui brouille les codes sociaux et sexuels.

Dans la catégorie « Portrait », le lauréat est William Bunel. Delphine Blast et Hannah Modigh sont les deux coups de cœur.

Travaillant au Rolleiflex argentique, William Bunel revendique moins d’instantanéité et plus de temps et de composition pour la mise en scène de ses modèles de la série « Les rideaux tombent », dans laquelle le photographe est allé à la rencontre de personnes âgées mais dignes dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille.

Delphine Blast développe une écriture documentaire proche de la tradition du reportage social qui fait la part belle au portrait. « Dissemblance » est une série qui invite le spectateur à réfléchir sur la notion de normalité dans une société où l’apparence est primordiale. Elle photographie des visages avec une tâche sur le visage, dans leur intimité. Porteur d’un angiome, ces hommes et ces femmes se sont mis à nu et ont posé des mots sur leur singularité.

Inscrite dans une trilogie américaine autour de la notion du flottement, Hannah Modigh capture dans son projet « Hurricane season », la tension palpable dans un quartier populaire de Louisiane à l’annonce d’un ouragan imminent.

Dans la catégorie « Reportage », la lauréate est Marianne Barthélémy. Pierre Faure et Nicole Peskine sont les deux coups de cœur.

Dans la série « Homegrown », Marianne Barthélémy s’intéresse au « homeschooling », un mouvement émergent aux Etats-Unis qui consiste pour certaines familles afro-américaines, à faire le choix d’instruire leurs enfants à domicile afin de valoriser leur héritage culturel africain et endiguer le processus de délinquance et l’incarcération. L’utilisation du noir et blanc fait écho aux codes du photojournalisme humaniste.

Pierre Faure s’engage en 2015 dans une série exhaustive sur la pauvreté en France. Il lui parait essentiel de montrer qu’une des résultantes des politiques de rénovation urbaine est de repousser toujours plus loin en périphérie les personnes en situation de précarité. La série « France périphérique », poignante d’authenticité et d’humanité, montre dans les villes et les campagnes françaises, le quotidien de ces ouvriers, chômeurs, agriculteurs, jeunes ou retraités.

Nicole Peskine assemble par collage des tirages argentiques noir et blanc qui sont ensuite scannés, retravaillés et tirés. Comme une fresque, la série « Les gens en marche » retrace les manifestations de l’histoire contemporaine française comme mai 1968 ou la défense du Larzac.


E.P.


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