SALLY MANN ▪ MILLE ET UN PASSAGES
JEU DE PAUME, PARIS
18 juin 2019 – 22 septembre 2019
Depuis plus de quarante ans, Sally Mann (née en 1951) réalise des photographies expérimentales à la beauté obsédante qui explorent les thèmes essentiels de l’existence : mémoire, désir, mort, liens familiaux, magistrale indifférence de la nature envers les hommes. Ce qui fait l’unité de ce vaste corpus – portraits, natures mortes, paysages et études diverses –, c’est qu’il est le « fruit d’un lieu », le Sud des États-Unis.
Sally Mann, originaire de Lexington (Virginie), a écrit voici bien longtemps sur ce que signifie vivre dans le Sud. S’appuyant sur un amour profond pour sa terre natale et sur une bonne connaissance de son héritage historique complexe, elle pose des questions fortes et provocantes – sur l’histoire, l’identité, la race et la religion – qui transcendent les frontières géographiques et nationales.
Cette exposition, la première rétrospective majeure de cette artiste éminente, traite de la façon dont sa relation avec sa terre d’origine a façonné son œuvre. Organisée en cinq parties et dotée de nombreuses photographies inconnues du public ou inédites, elle constitue à la fois une vue d’ensemble du travail de l’artiste sur quatre décennies et une fine analyse de la manière dont le legs du Sud –à la fois patrie et cimetière, refuge et champ de bataille – transparaît dans son travail comme une force puissante et troublante qui continue de modeler l’identité et le vécu de tout un pays.
Sarah Greenough et Sarah Kennel, commissaires
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
Le Jeu de Paume consacre une rétrospective à la photographe américaine Sally Mann.
Elle a photographié de nombreuses scènes intimes, des portraits, des paysages ou des natures mortes avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse. Ses images ont parfois fait scandale comme celles de ses enfants, un garçon et deux filles, qu’elle a photographiés nus se baignant au soleil dans leur chalet d’été dans la vallée de Shenandoah en Virginie. Ce n’est pas très étonnant dans un pays très prude comme les États-Unis. En utilisant prioritairement une chambre 8x10 pouces, elle crée des images qui évoquent la liberté et la quiétude. Ses portraits évoquent la beauté, la sensualité et la tendresse. Les clichés de ses enfants sont pris dans la spontanéité de leurs attitudes mais plus souvent avec leur complicité, leur collaboration, et même dans certains cas des propositions de leur part. Très souvent la composition fait l’objet d’une préparation minutieuse et l’interprétation de l’image va assez loin. Une légende détaillée à côté de chaque cliché permet au visiteur d’en décoder toutes les facettes.
Originaire du sud des États-Unis, Sally Mann a également voulu mettre en avant ce territoire à l’histoire tourmentée. Au début des années 1990, elle cesse de photographier sa famille pour se consacrer au paysage de Virginie où la famille réside, mais aussi plus au sud en Géorgie, en Louisiane ou au Mississipi. Elle veut témoigner par l’image des cicatrices du passé faites de guerre, de mort, de souffrances et d’injustices. Les tirages présentés, très noirs et très contrastés, renforcent cette souffrance.
À la fin des années 2000, Sally Mann va braquer son objectif de manière très intime sur son mari Larry, atteint d’une dystrophie musculaire. La série « Proud Flesh [Chair exubérante] » va montrer tous les changements d’une apparence physique touchée par la maladie en donnant à chaque image des titres d’inspiration littéraire ou mythologique. Les photographies très noires et très crues, parfois dérangeantes, sont réalisées sous forme de ferrotypes positifs au collodion sur des tôles de plaques vernies. Ce support renforce indéniablement cette impression d’un monde très sombre. Le mode opératoire est d’ailleurs dans une vidéo projetée au fond de la dernière salle.
Que ce soit avec ses enfants, ses séries sur le Sud, ou ses portraits, Sally Mann aborde la photographie de manière très intérieure et très romancée. Le monde qu’elle décrit à partir des années 1990 est sombre, très sombre... peut-être trop sombre.
E.P.