MÉDECINS DU MONDE ET DENIS ROUVRE ▪ UNSUNG HEROES
GALERIE JOSEPH, PARIS
9 octobre 2019 - 2 novembre 2019
« Il suffit d’écouter les femmes », affirmait Simone Veil lors de la présentation du projet de loi sur l’IVG à l’Assemblée nationale en 1974. Comme une évidence qu’il fallait alors rappeler à un hémicycle essentiellement masculin. Une évidence qu’aujourd’hui encore nous devons répéter tant la parole des femmes à travers le monde demeure inaudible, tant leur opinion dans les affaires qui les concernent est méprisée. Il faut respecter la voix des femmes. C’est un principe essentiel de Médecins du Monde, une nécessité pour qui veut défendre leurs droits et leur santé. Ce projet photographique écrit avec Denis Rouvre oppose au silence les visages et les mots de dizaines de femmes.
Un geste politique, artistique et humain qui entend porter à l’attention du plus grand nombre des histoires ordinaires, singulières, bouleversantes, où s’exprime la violence du monde.
Unsung Heroes, ce sont des luttes muettes, nourries d’actes de survie quotidienne et de résilience. Ce sont des vies d’engagement au service de toutes, une inlassable révolte face à l’injustice. Unsung Heroes, c’est une chambre d’écho où se répercutent les messages d’espoir de millions de femmes et où l’on entend, pour peu que l’on veuille écouter, le murmure du changement, la transformation sociale qu’en tant qu’ONG humanitaire nous soutenons et accompagnons.
Les droits des femmes, en matière de santé et dans bien d’autres domaines, ne sont jamais acquis. Chaque jour, nous l’observons, ils sont remis en cause, bafoués, et chaque avancée vers plus de liberté, chaque pas vers l’égalité des genres est une fragile victoire.
Il est urgent d’écouter les femmes, donc, d’entendre leur cri de résistance. Mieux que personne elles nous disent la nécessité de reconnaître, enfin, leurs droits comme des droits humains universels et fondamentaux.
Catherine Giboin, vice-présidente de Médecins du Monde
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
La Galerie Joseph présente 60 portraits de femmes victimes de violences à travers le monde, dans une exposition construite conjointement par Médecins du Monde et le photographe Denis Rouvre.
À travers ces 60 portraits, ce sont 60 témoignages de femmes recueillis par Denis Rouvre pendant un voyage de huit mois dans neuf pays, sur le terrain où l’association mène des programmes humanitaires. Ces femmes ont fait confiance à leur interlocuteur en lui racontant leur histoire, et les violences institutionnelles, sociétales, domestiques, morales et physiques qu’elles ont subies. Les témoignages figurent à côté de chaque portrait. Ils sont bouleversants, pesants et illustrent malheureusement toute la détresse qui se lit sur le visage de ces femmes. On parle de femmes mais dans certains cas il s’agit d’enfants et ça n’en est que plus révoltant.
Les sévices les plus cruels ont été perpétrés dans des pays en guerre comme la République du Congo ou la Colombie. On se trouve alors dans un schéma classique où la violence gratuite et le viol est une arme de guerre mûrement préméditée. Mais que dire des violences institutionnelles de tous les jours qu’on trouve en Palestine, en Syrie ou au Népal avec des situations s’apparentant à de l’esclavagisme.
On lit ces témoignages insoutenables avec une certaine distance en se disant qu’il ne nous concerne pas vraiment, car les violences ont lieu dans des pays loin de chez nous, connus pour bafouer les Droits de l’Homme. Mais la distance n’est plus quand on se rend compte qu’en France aussi des femmes subissent des violences au quotidien autant condamnables.
Cette exposition est un cri. Elle ne juge pas. Elle brise le silence et libère la parole. Et quelque part, à travers ces témoignages effrayants, on peut lire parfois des actes de résistance, des engagements et une farouche volonté de s’en sortir. Une petite note d’espoir laissant penser que la vie est plus forte que la mort.
Témoignage de la Congolaise Élysée qui a été recueillie et soignée à l’hôpital de Panzi où le docteur Mukwege répare les femmes : « C’était en juin. Il était 20 heures. Il faisait nuit. On était à la maison. Des Raia Mtomboki sont arrivés et sont entrés. Ils ont attrapé mon mari, ils lui ont mis un coup de couteau dans le cou et l’ont tué. Ensuite, ils m’ont attrapée et m’ont dit qu’ils allaient me tuer aussi, devant mes trois enfants : deux garçons et une fille. Mais ils m’ont emmenée et m’ont violée dans la forêt. Beaucoup sont morts, ils ont brûlé beaucoup de maisons, et des enfants en bas âge, des grands et des personnes âgées, mais moi on m’a violée. Je suis à huit mois… Huit mois qu’ils m’ont fait cela. Quand j’y repense, je sens une tristesse qui m’envahit. Cet enfant, je vais m’occuper de lui comme je m’occupe des autres et je vais bien l’élever, car je suis en vie, grâce à Dieu. Je ne peux pas le discriminer ni le traiter différemment des autres, lui aussi est un enfant. Mais plus tard, ne va-t-il pas me demander qui est son père, une fois qu’il sera en âge de raison ? Comment vais-je lui répondre ?Je ne peux pas encore retourner dans le village de mon mari. Là-bas, ils vont d’abord me dire que je suis une femme des Raia Mtomboki maintenant. Ensuite, ils diront que je ne peux pas porter un enfant dont je ne connais pas la famille. Je ne peux pas songer à me remarier, ni à être avec un homme, ni à me mettre en couple. Je ne pense qu’à m’occuper de mes enfants et à bien en prendre soin. Je ne pense qu’à cela. »
Témoignage de la Congolaise de Rebecca, 13 ans : « C’était un soir vers 20 heures, maman m’a envoyée chercher sa paire de tongs que j’avais perdue en me battant avec une petite voisine. J’avais 7 ans. Elle m’a dit que ce n’était pas la peine de revenir à la maison sans cette paire de tongs. Je dors au pont Matete. Je ne peux plus rentrer chez mes parents. Quand je rentre chez mes parents on me chasse et on me frappe. »
E.P.