JEAN-LOUIS COURTINAT ▪ LES SOUFFRANCES DE L’ÂME
- Eric Poulhe
- 9 juin 2023
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 juin 2023
GALERIE FAIT & CAUSE, PARIS
11 mai 2023 – 8 juillet 2023

Novembre 2022. Cela fait maintenant quatre fois que je me rends en Belgique, au sein du foyer de vie « CHRYSALIS ». Ce lieu accueille onze personnes handicapées mentales qui, comme des milliers d’autres, n’ont pas trouvé de refuge en France, soit par manque de structures d’accueil, soit à cause de leurs troubles du comportement.
Ce lieu, au sein duquel sont apaisées bien des détresses, est empreint d’une grande humanité. Il y règne un véritable esprit de famille, dans lequel je me sens bien.
Après avoir expliqué le sens de ma démarche aux éducateurs, toute l’équipe a adhéré à mon projet. Leur présence constante à mes côtés fut essentielle, notamment dans les moments délicats.
À chaque séjour, je restais deux semaines. J’étais en immersion totale. Du matin au soir, je déambulais avec les résidents. Je partageais leur vie quotidienne. Ma chambre, située non loin des leurs, me permettait de ne rater aucun petit moment de vie.
La communication ne fut pas aisée. La quasi-totalité d’entre eux n’ayant pas l’usage de la parole, j’ai dû me contenter de regards furtifs, de petits gestes de tendresse bien rassurants, mais aussi de moments de colère et d’agressivité.
Pour un photographe, vivre dans ce lieu, c’est comme entrer en religion. Cela demande une attention et une disponibilité permanentes. Ici on ne triche pas. Chaque photographie se mérite. Point de mitraillage intempestif, mais douceur et délicatesse. On ne vole pas l’image, on l’emprunte avec modestie. Il faut savoir se retirer et poser son appareil photo lorsque la situation s’envenime, rester libre dans sa tête pour saisir au vol un moment d’humanité, tenter de déchiffrer les codes pour entrer dans leur monde. Ne rien forcer. Bref, les aimer.
Ce mystère de la maladie mentale m’a bouleversé. Comment ces personnes hors normes s’approprient-elles ce lieu de vie ? Comment se manifestent leur souffrance, leur difficulté d’être ? Quelles relations entretiennent-elles avec l’équipe d’éducateurs, qui les accompagne dans leur douleur et leur enfermement ? Beaucoup de questions et bien peu de réponses.
Cette famille, je vous la donne à voir, à regarder, à considérer, à ressentir. Je vous la présente comme dans une pièce de théâtre. En voici les acteurs : Stéphanie, Joël, Mario, Chantal, Patrick, Sandra, Monique, Willy, Lily, Jordan et Vincent. Ils vont évoluer devant vous, au gré de leurs humeurs et de leurs angoisses.
Chacun d’eux vit dans un monde dont personne n’a les clefs, un univers incompréhensible, imprévisible et chaotique. Ils déambulent dans leur labyrinthe intime. Parfois, ils sont sereins et apaisés. Moment magique, leur visage s’irradie, ils semblent heureux, l’espace d’un instant.
Jean-Louis Courtinat
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
La galerie Fait & Cause présente « Les souffrances de l’âme » de Jean-Louis Courtinat. Photographe français engagé dans la photographie humaniste et sociale, il réalise des reportages sur les exclus de notre société, les personnes vivant dans la grande pauvreté, ayant des problèmes de santé ou en fin de vie. Il résume son approche de la photographie comme un acte militant : « J'ai toujours été auprès de ceux qui étaient dans la pire des positions pour se défendre, j'ai toujours vécu très longtemps avec eux, devenant à leur côté un combattant acquis à leur cause. » Au-delà d’une simple représentation d’une image, Jean-Louis Courtinat va au cœur de la vie de ses sujets : « Ni complaisance, ni voyeurisme, mais un sentiment d'urgence, de responsabilité, de mission. Au bout de mes objectifs, je vois la misère, la souffrance, les beaux, les méchants, la haine, la générosité... »
La série exposée a pour décor le foyer de vie Chrysalis, en Belgique, qui accueille onze personnes handicapées mentales qui n’ont pas trouvé de refuge en France. Les photographies en noir et blanc, au cadrage soigné, sont accompagnées d’un texte qui permet de recontextualiser la prise de vue et d’en donner les clés de lecture. On ressent beaucoup d’empathie entre le photographe et son sujet qui l’accepte. Il n’y a aucune photo volée. « Ici on ne triche pas. Chaque photographie se mérite. Point de mitraillage intempestif, mais douceur et délicatesse. » écrit Jean-Louis Courtinat.
Située au cœur du quartier de Beaubourg, la galerie Fait & Cause s’est donnée pour mission de favoriser la prise de conscience des problèmes sociaux et environnementaux à travers le monde, de dénoncer les injustices, les inégalités et la misère. Avec ce reportage et cette belle exposition, on est au cœur du sujet.
E.P.
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