MARIE BOVO ▪ NOCTURNES
- Eric Poulhe
- 13 mars 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2023
FONDATION HENRI CARTIER-BRESSON, PARIS
25 février 2020 – 17 mai 2020

« Photographier la nuit implique l’usage de la pause longue, et l’une des particularités de la pause longue c’est d’ajouter du temps à la mesure de la lumière. » Marie Bovo
C’est bien souvent à la tombée du jour que Marie Bovo est tentée de retenir le temps. Non seulement à cause de la pause très longue que la technique photographique choisie lui impose – grand format, argentique, lumière naturelle – mais aussi pour voir lentement se dérouler ce passage des heures en des espaces intermédiaires dépeuplés mais habités. L’exposition Nocturnes à la Fondation HCB présente une sélection inédite d’images prises par Marie Bovo entre chien et loup, à Marseille et en Afrique.
Cette approche du temps, illustrée aussi bien par la photographie que par le film, est fondée sur l’observation tranquille et concernée, la politesse du regard, l’appropriation d’un dedans imaginaire par le dehors. Marie Bovo passe ainsi avec bonheur de la photographie à l’image en mouvement et ses images, présentées systématiquement en série pour insister sur le passage du temps, se situent à la limite du cinéma. La qualité visuelle et la plastique très contrôlée de ses œuvres ne laissent pas soupçonner de prime abord l’esprit quasi humaniste qui les sous-tend.
La frontière de l’intime sans invasion, les habitants, la nuit, sont choses communes chez Marie Bovo qui entend par là résister à l’agression de l’objectif chasseur et se couler en rythme dans le flux de la vie, en toute discrétion.
L’exposition à la Fondation HCB présente 35 tirages de grand format de 5 séries différentes ainsi que 2 films.
Agnès Sire, directrice artistique
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
La fondation Henri Cartier-Bresson présente l’exposition « Nocturnes » de la photographe Marie Bovo, née en Espagne, qui vit et travaille à Marseille.
La photographe a une obsession : photographier des scènes de lieux de la vie quotidienne dans la pénombre, entre chien et loup, avec la particularité qu’elles sont dépourvues de présence humaine. Les contraintes de lumière nécessitent l’utilisation de la technique des pauses lentes. Ce travail, demande évidemment beaucoup de patience, et le choix de l’heure de démarrage du déclenchement primordial, puisque certains temps de pause sont de trois heures.
Pour la série « Evening Settings », réalisée dans le village de Kasunya au Ghana, Marie Bovo a photographié les cours désertées par les habitants, qui ont abandonné pour la nuit, les objets nécessaires à la vie quotidienne, et notamment la préparation des repas.
Dans la série de 2009 « Cours intérieures », du quartier de la Joliette, Marie Bovo place sa chambre photographique au milieu d’une cour intérieure, et dirige l’objectif vers le haut. L’image se joue des formes géométriques en intégrant les lignes droites correspondant au réseau de cordes à linge.
Dans la zone portuaire des quartiers nord de Marseille, Marie Bovo a photographié, sous un même angle, un camp de Roms aux Arnavaux, en bordure d’une voie de chemin de fer. Ce qui l’intéresse, c’est la pérégrination des objets. Elle cadrait de manière intuitive et ne voyait pas, à cause de la nuit noire, ce que l’appareil allait restituer après trois heures de pause lente.
Toujours à Marseille, la photographe s’intéresse à un kebab, situé à l’angle de la rue des Feuillants. Installé dans un décor surréaliste, ses murs sont couverts de céramiques illustrant la fondation mythologique de Marseille, et de grands miroirs datant de 1895. Quelques mois après les prises de vue, le kebab est vendu, et bien qu’elles soient inscrites au patrimoine de la ville, les céramiques, et les miroirs ont disparu. La ville n’ayant pas suivi le chantier, ils sont recouverts par des panneaux de Placoplâtre !
À Alger, Marie Bovo décide de travailler dans l’appartement qu’elle loue, en partant de son point de vue intérieur. En fin de journée, elle ouvre les portes-fenêtres donnant sur des balcons et les immeubles en vis-à-vis. Elle réalise des clichés en recherchant un équilibre entre le niveau de la lumière extérieure et intérieure.
L’exercice des différents projets menés par Marie Bovo est intéressant car il ouvre la porte à d’autres réflexions : la vie quotidienne dans un village au Ghana, la destruction du patrimoine marseillais d’un kebab, l’urbanisme des immeubles populaires marseillais… Toutefois, le rendu des images donne un sentiment de lenteur pesant où rien ne se passe. Seul l’imaginaire du spectateur peut donner vie à ces images. À chacun d’en apprécier l’intérêt.
E.P.
La technique un peu spéciale utilisée pour ces photos leur donne un aspect très original