PAUL STRAND OU L’ÉQUILIBRE DES FORCES
FONDATION HENRI CARTIER-BRESSON, PARIS
14 février 2023 – 23 avril 2023
La Fondation HCB porte un nouveau regard sur l’œuvre du photographe américain Paul Strand (1890-1976) à partir des collections de la Fundación MAPFRE, Madrid. Alors que Strand est souvent célébré comme étant pionnier de la straight photography (ou photographie directe), cette exposition revient également sur la dimension profondément politique de son travail.
« Les contraires se guérissent par les contraires » dit la formule. Paul Strand est l’héritier de deux grandes traditions photographiques souvent présentées comme antagonistes. Une tendance formaliste cherchant à démontrer que la photographie est un art. Une tendance sociale, l’envisageant davantage comme un outil documentaire au service d’un projet politique. Alfred Stieglitz et Lewis Hine, qui, dans l’histoire de la photographie, incarnent ces deux pôles, ont tous les deux été les mentors de Strand durant ses années de formation, ceci explique peut-être cela.
Même si, au milieu des années 1910, Strand photographie le visage du peuple dans les rues de New York, la première partie de son œuvre est particulièrement marquée par le formalisme. Lorsqu’en 1917, Stieglitz lui consacre le dernier numéro de sa fameuse revue Camera Work, il s’agit surtout de démontrer que la photographie possède un langage artistique autonome. C’est à partir d’un séjour au Mexique (1932-1934), puis d’un voyage à Moscou (1935), que sa démarche se politise davantage. Il est membre de l’American Labor Party et travaille avec plus d’une vingtaine d’organisations qui, au moment du Maccarthysme, seront classées comme « anti-américaines ». Ce qui le conduira à quitter les États-Unis et à venir s’installer en France. Beaucoup des choix de Strand sont déterminés par cette conscience politique : ses sujets, les lieux où il photographie, les écrivains avec lesquelles il travaille, mais aussi le choix du livre comme principal vecteur de diffusion de ses images.
Ces dernières décennies, nombre d’expositions consacrées à Strand se sont focalisées sur son approche formaliste. Sans aucunement minimiser cette dimension, le présent projet se propose de recontextualiser Strand en rappelant l’importance de son engagement politique. Entre recherche formelle et implication sociale, il s’agit bien ici de rééquilibrer les forces à l’œuvre dans sa pratique. Car si Strand est souvent présenté comme l’un des plus grands photographes du XXe siècle, c’est précisément parce qu’il a su admirablement proposer une synthèse entre ces deux polarités.
L’exposition présente près de 120 tirages issus des collections de la Fundación MAPFRE, Madrid, le film Manhatta réalisé par Paul Strand et Charles Sheeler en 1921 ainsi que quelques tirages prêtés par le Centre Pompidou.
Clément Chéroux, commissaire et directeur de la Fondation HCB
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
Avec « L'équilibre des forces », le photographe américain Paul Strand est à l'honneur à la Fondation Henri Cartier-Bresson avec la présentation de près de 120 tirages. Considéré comme l'un des pionniers de la « photographie pure », Paul Strand veut une photographie réaliste et objective, en représentant le monde tel qu'il est, et non pas tel que l'artiste veut le montrer.
Né en 1890, il découvre la photographie à l’adolescence et s’attache d’abord à saisir les visages et les scènes de vie du peuple new-yorkais.
Après un voyage au Mexique en 1933 et à Moscou en 1938, il s'engage en politique, en devenant notamment membre de l'American Labor Party, une activité mal vue aux États-Unis. Il décide alors, en 1950, de venir s’installer en France à Orgeval. Il publie le livre La France de profil en 1952, un recueil de photographies qu’il a réalisées en sillonnant les quatre coins de la France. Le cliché du jeune garçon de Gondeville est célèbre. Le regard pénétrant surplombé par des sourcils froncés, la bouche légèrement pincée, reflète l’approche sculpturale que le photographe a du portrait.
À chaque voyage, Paul Strand s'attache à raconter la vraie vie des gens, des personnes humbles, touchées par leurs conditions de vie. Avec Un Paese, Paul Strand réalise un reportage à Luzarra, un village de la plaine du Pô, haut lieu de résistance du fascisme, devenu un bastion communiste dans les années d’après-guerre. Le livre publié en 1955 associe les photographies avec des textes écrits sur la base d’entretiens réalisés avec les villageois. Celui de la famille Lusetti est présenté dans l’exposition. Avec Tir a’Mhurain, le photographe s’immerge dans une île de l’archipel des Hébrides, au nord-ouest de l’Écosse et réalise de superbes portraits des habitants dont il souligne « leur dignité, leur robustesse, la ténacité avec laquelle ils tiennent sur ces îles démunies et balayées par le vent. »
En 1959, lors d’un voyage Égypte, le photoreporter donne un point de vue décolonial, en photographiant les habitants et les lieux, où ils vivent et travaillent. Il en fait de même au Maroc en 1962, et au Ghana en 1964.
En s’intéressant aux populations qu’il rencontre, Paul Strand offre ainsi un regard unique sur les bouleversements du XXe siècle en pleine phase de décolonisation.
Une belle rétrospective pleine d’humanité.
E.P.
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