PIERRE FAURE ▪ FRANCE PÉRIPHÉRIQUE
- Eric Poulhe
- 13 mai 2022
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juin 2023
GALERIE FAIT & CAUSE, PARIS
11 mai 2022 – 9 juillet 2022

Économiste de formation, je documente depuis 2011 la montée de la pauvreté en France.
Le titre « France Périphérique » est emprunté à l’ouvrage éponyme du géographe Christophe Guilluy qui aborde les problématiques politiques, sociales et culturelles de la France contemporaine par le prisme du territoire. Il s’intéresse à l’émergence d’une « France périphérique » qui s’étend des marges périurbaines les plus fragiles des grandes villes jusqu’aux espaces ruraux en passant par les petites villes et villes moyennes. Il souligne que désormais 60 % de la population — et les trois quarts des nouvelles classes populaires — vivent dans cette « France périphérique », à l’écart des villes mondialisées
La France compte 8,8 millions de pauvres (INSEE, 2016). 2,3 millions de personnes vivent avec au mieux 672 euros par mois (pour une personne seule). Comble pour l’un des premiers producteurs agricoles mondiaux, pour manger, près de deux millions de personnes auraient eu recours à l’aide alimentaire en 2015 (Observatoire des inégalités).
Je m’intéresse aux évolutions qui modifient la société française en profondeur, sur le long terme. La pauvreté a baissé à partir des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990. Elle est ensuite restée plutôt stable jusqu’au début des années 2000, puis elle a augmenté. Depuis 2004, le nombre de personnes pauvres a progressé de 1,2 million (+ 30 %). Ce mouvement de hausse constitue un tournant dans l’histoire sociale de notre pays. La dégradation économique enregistrée depuis 2008 pèse tout particulièrement sur les moins favorisés (source : L’Observatoire des inégalités). L’objectif est de constituer un témoignage photographique de la hausse structurelle de la pauvreté dans l’hexagone.
Au-delà des statistiques, le phénomène est peu visible. Pourquoi ? Les analyses de Pierre Bourdieu et Michel Legros peuvent nous éclairer. Selon le premier, l’invisibilité sociale est un effet de la domination. L’espace social est un espace clivé, divisé entre dominants et dominés. Dans la conception la plus large, l’invisibilité concerne tous ceux que les dominants estiment ne pas relever d’une vie normale et accomplie.
Pour Michel Legros (Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale) l’invisibilité peut constituer un mode de régulation de la pauvreté. Il s’agit alors de rendre les pauvres invisibles. Les politiques urbaines notamment visent à « nettoyer » l’espace public, en évitant que les pauvres ne l’occupent trop massivement pour ne pas déranger le reste de la population. La rénovation urbaine a pu conduire à repousser les pauvres toujours plus loin en périphérie, et la politique de mixité sociale passe en réalité par l’expulsion plus ou moins directe et négociée de catégories que l’on ne souhaite plus voir dans les espaces rénovés. (ONPES).
Le regard des Français sur les pauvres se fait plus dur. Selon une enquête du Crédoc (1) portant sur un échantillon représentatif de 2 000 personnes de décembre 2013 à janvier 2014 publiée le 12 septembre 2014. 37 % des Français pensent que les personnes qui vivent dans la pauvreté n’ont pas fait d’effort pour s’en sortir alors qu’ils n’étaient que 25% en 2009 au déclenchement de la crise.
Je souhaite par ce témoignage rendre visibles et concrètes les conditions de vie d’une partie de nos compatriotes. Que des visages se substituent aux statistiques afin d’apporter au public des éléments de sensibilisation et de compréhension.
Pierre Faure
Sélection
Commentaire ♥♥♥♥♥
La galerie Fait & Cause présente le projet France périphérique du photographe Pierre Faure. Le site internet de la galerie, SOPHOT, dédié à la photographie sociale et environnementale, a l’ambition de sensibiliser l’opinion publique et de favoriser une prise de conscience collective.
Depuis 2015, Pierre Faure, économiste de formation, documente la montée de la pauvreté en France, en privilégiant les zones rurales et péri-urbaines. Son projet a pour but de rendre visibles et concrètes les conditions de vie d’une partie des Français. Pierre Faure : « J’ai commencé par la région Provence Alpes Côte d’Azur, parce que j’y ai de la famille qui a pu m’héberger. En 2016 j’étais en Auvergne, 2017 en Normandie, 2018 dans les Hauts-de-France, 2019 en Bretagne, 2020/2021 dans le Grand-Est. Je consacre entre 150 et 200 jours par an à ce travail. J’en suis à la moitié, il me reste six régions à faire. »
Pierre Faure réalise des portraits avec beaucoup de pudeur et d’émotion en replaçant ses sujets dans l’environnement où ils vivent. On ressent beaucoup d’empathie et de tendresse de la part du photographe. Il garde d’ailleurs le contact avec certains d’entre eux et prend des nouvelles régulièrement, apprenant parfois le décès de l’un d’entre eux. Les hommes ou femmes, jeunes ou âgés, sont d’une très grande dignité devant l’objectif. Ils sont émouvants, et nous ramènent à notre condition, qu’on pourrait considérer comme privilégiée, au regard de la vie qui ne les a pas, eux, épargnés.
Un projet social bouleversant, avec un trop plein d’humanité, dans la ligne directe des grands photographes humanistes tels que Willy Ronis, Robert Doisneau ou Henri Cartier-Bresson.
À voir impérativement !
E.P.
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